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15 février 2013 5 15 /02 /février /2013 00:00

La démarche sensuelle, l'hôtesse s'avance pour donner les consignes de sécurité. Bienvenue sur le vol Air France n° 4712.

Roger vérifie pour la 8ème fois l'attache de sa ceinture de sécurité-tranquillité.

Premier voyage en avion, au bout le Maroc et son frangin Marco, grand frère modèle qui a fait fortune avec son magasin de bricolage.

Chaque minute le rapproche de l'apéro sur la terrasse ensoleillée, loin de l'hiver parisien, des problèmes d'inondation, des métros bondés, des bonds pour éviter certains crétins conducteurs.

Ces images grises s'éloignent, son estomac se dénoue, ses mains se décrispent, l'avion a décollé. Le papier peint de son pavillon de banlieue aussi. Son siège est côté hublot, entre les nuages il devine la mer. Son esprit navigue entre passé et futur, les réunions amicales avec les voisins devant la cheminée, les prochaines retrouvailles familiales dans la pimpante villa marocaine sous un soleil dru ; Marco, sa nouvelle femme, son nouveau métier.

- Jus d'orange, thé, café ? Le doux visage de l'hôtesse, sa voix limpide le font gicler hors de ses pensées. Délicieux ce visage penché sur lui, ce regard bleu azur. Acide le jus d'orange, sans glaçon, sans le son du glaçon.

Roger plane à 12 000 m d'altitude et commence à goûter un zeste de sérénité.

La peur du vide l'a quitté. Sa femme aussi, 6 mois plus tôt.

L'écran du hublot le rassure, sa femme aussi, lorsqu'ils retapaient ensemble le petit pavillon, même les murs étaient tapissés de leur complicité.

Une joyeuse persévérance les habitait.

Récemment, son cousin lui avait dit « méfies-toi, elle est trop blonde pour toi, un jour elle te quittera. » Il n'avait pas compris ni cherché à comprendre, la boutade lui était montée au nez, son ego avait contourné l'intuition d'une vérité.

Marco, le roi des bricolo n'était pas fin psychologue, ni expert en conseil conjugal … Paroles en l'air.

Roger étend ses jambes et s'accoude. L'accoudoir de droite lui semble étonnamment rembourré. Ce n'est pas l'accoudoir, c'est le bras de sa voisine dodue, qui dodeline de la tête en soupirant sur ses mots fléchés dès qu'un éclair d'idée lui échappe. Roger n'a jamais vu un pot d'échappement aussi gros. Lui si sensible aux justes proportions chez une femme et un brin macho.

La quarantaine bien mâchée, pourquoi changer … Pourtant, c'est peut-être l'occasion de voir la gente féminine au-delà de son enveloppe, de ses contours.

Cette femme a sûrement une intelligence fine, une grande sensibilité, de la délicatesse...

Les WC c'est où ?

Roger sort de sa torpeur, torpillé par une voix rauque, masculine, campagnarde.

Son ''racisme'' légendaire envers la province l'emporte sur cette première tentative d'empathie.

Au fond mais le voyant est allumé, c'est occupé !

Bon, j'irai plus tard, je vais me repoudrer ici

Joignant le geste à la parole, le cliquetis d'un sac avachi annonce la sortie du poudrier et pas seulement, bâton de rouge à lèvres et parfum. Un nuage odorant enveloppe Roger qui développe instantanément une certaine impatience, voire animosité envers le spécimen.

Partagé entre l'envie de profiter du voyage ou déclarer les hostilités, il finit de noyer sa soif sans glaçon et se laisse de nouveau happer par le paysage au verso du hublot. La silhouette de l'hôtesse glisse dans un reflet.

« Dans quelques minutes, nous allons amorcer la descente, veuillez … »

Une secousse brutale, un bruit anormal annulent son sourire béat.

Une énorme masse s'abat sur lui, bruit de verre cassé, son regard se brouille, son cœur s'emballe. Sa voisine en se levant brusquement a perdu l'équilibre,

90 kg de chair féminine viennent de s'abattre sur lui. Aplati en personnage de Tex Avery, il réceptionne le colis, reprend ses esprits, époussette les virgules de pulpe d'orange sur sa chemise.

Au sol, les glaçons fondent, la femme se confond en désolation-1000 excuses je suis navrée. L'hôtesse aux lèvres pulpeuses éponge les éclaboussures.

Roger absorbe le choc et reprend son souffle, un mouchoir se tend devant lui, au bout du mouchoir, une voix râpeuse :

Je suis Colette Ménard, euh, vous en avez encore un peu là …

L'envie de lui mettre une paire de baffes le démange mais il se retient.

Voici ma carte, pour me faire pardonner, je vous invite au restaurant de mon mari, il a vendu son magasin de bricolage et se lance dans la restauration !

Roger déglutit péniblement, il réalise qu'il vient de faire la connaissance de sa belle-sœur …

 

Bénédicte

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