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9 novembre 2011 3 09 /11 /novembre /2011 00:00

rouler

 

    Je laisse derrière moi cette nuit infernale, cette nuit sans fin, cette nuit de brouillard où cependant j'ai tout décidé.

    Cet hôtel d'étape près d'Asti, 2 étoiles, tout confort, dans lequel chaque objet est à sa place, avec la neutralité la plus absolue.

    Je m'y suis posée pour être le plus loin possible de l'homme qui hante mes jours, mes heures, mes minutes, mes secondes, cet homme qui m'appelle sans cesse, me harcèle, me rend folle, qui le sait, qui en joue et qui s'en délecte...

    Maintenant, c'est fini, je l'ai fui pour toujours. Il ne trouvera plus mon nom près de la porte d'entrée, je n'y suis plus. Mes anciens numéros de téléphone lui indiqueront qu'ils ne sont plus distribués. J'ai coupé tous les ponts, j'ai brisé tous les liens, j'ai organisé ma fuite.

    Je sais que maintenant, un personnage en voie de reconstruction prend sa destinée en mains.

    Comme prévu, la voiture que j'ai louée par internet est sur le parking de l'Hôtel. Je m'approche, avec mes valises, et mon sac à dos.

      C'est drôle, je la regarde comme le symbole de ma métamorphose. Je veux l'ausculter, la détailler, m'en imprégner.

     Elle est rouge, j'adore, elle va bien avec la couleur de mon manteau . Elle est assez grande pour y être à l'aise mais en même temps assez petite pour la garer sans problème.

    Son coffre est très facile d'accès et bien proportionné; J'ai l'impression qu'elle me sourit avec les phares avant, les pneus sont très crénelés donc neufs... Tant mieux!

    Le moteur ! Ce n'est pas la peine que je m'en occupe, je lui fais confiance.

    Je sors les clés de mon sac, j'appuie sur la télécommande et hop ! Elle clignote. J'en fais le tour, aucune éraflure, aucun creux aucune bosse, elle est en parfait état.

   Mon premier examen de femme libre est terminé, j'ouvre le coffre, pose un à un mes bagages et le referme doucement.

    J'ôte mon manteau rouge, le mets sur les sièges arrière. Je m'assieds derrière le volant, je place ma ceinture de sécurité, je pose mon sac à main sur l'autre siège, j'allume la radio et je ferme les yeux.

    Ca y est, maintenant nous sommes prêtes pour le début de l'aventure.

    Je sens mon sang qui coule dans mes veines, j'écoute ma pensée qui s'organise pour le plan de route.

    Un, deux, trois... j'ouvre les yeux, je mets le contact... je reçois le bruit du moteur comme une douce musique... j'éteins la radio et je me concentre sur les notes de cette nouvelle mélodie. Je quitte l'aire de stationnement et je rejoins l'autoroute pour en sortir le plus vite possible.

    L'autoroute ne m'intéresse pas, elle n'est qu'un long ruban, sans envies, sans vie véritable.

    Je lis " sortie 23", vers Niza Monterrato, je trouve cela chic.

   Je vais sortir, sans oublier de payer mon droit à user l'asphalte, depuis Asti. Ouf ! Ma voiture s'élance vers la petite route, sinueuse, bordée de haies verdoyantes, de petits villages blancs.

    La paix s'installe doucement en moi, je commence à m'inventer un nouvel itinéraire de vie, je chantonne. Le moteur joue son concerto et...

     Non, non, ce n'est pas possible, je rêve, un chien est couché en plein milieu de la rue avec un boulet autour d'une patte.

    Ce n'est pas possible, c'est insupportable.

    Je dois m'arrêter, lui porter secours. Qui peut se permettre de tels actes ?

    Je m'arrête sur le bas-côté de la route, je descends de la voiture...

    En fait, à nouveau, je n'ai plus de choix, je suis obligée de tenir compte de cet évènement.

    Tant pis ! Ou, tant mieux ! Je verrai bien.

    Non, sans hésiter, je m'approche de l'animal, je lui souris, je lui parle, je veux le rassurer.

    Rien ne pourra plus me faire renoncer à ma nouvelle mission, je le caresse et observe son fameux boulet. Quelle surprise ! Il est creux, il a même un couvercle, c'est un peu comme une urne ou quelque chose d'approchant.

    Très doucement, je soulève ledit couvercle et je plonge ma main à l'intérieur, je saisis un papier plié en quatre. Je le déplie lentement, et je découvre un petit texte d'une dizaine de lignes. Bien sûr, c'est écrit en italien, me voilà bien, j'essaie malgré tout de comprendre. C'est périlleux pour moi, j'y perds mon latin.

   Après quelques minutes, je me rends compte que c'est un appel au secours ! Deux personnes, les propriétaires du chien sont cachés derrière un buisson. Je tourne la tête de chaque côté de la route.

    J'attends quelques minutes. Aucune voiture ne passe. J'ai l'impression d'être seule au monde avec "mon chien", Ah, j'ai dit "mon chien", j'ai un instinct de propriété assez développé, sans doute est-ce lié à ma nouvelle vie ? Malgré moi, je veux faire partie d'un scénario. Tout à coup, je vois deux formes humaines avancer doucement. Elles portent un masque... j'en suis sûre. Le chien se relève, jappe, saute, le boulet en plastique a failli lui percuter le museau. Je frissonne, tout cela est tellement inattendu. Ils me saluent brièvement et ouvrent la voiture, prennent le chien et s'installent en repoussant les sacs.

    Je me suis posée la question de savoir si je devais me présenter ou au contraire me taire.

    Je choisis la deuxième solution. L'homme (je le suppose, il en a la musculature) s'est assis près de moi. Il a sorti un révolver de sa poche, l'a posé sur ses genoux et sans me regarder, a annoncé dans un français impeccable : " tu roules en suivant mes indications, nous ne te voulons aucun mal, nous devons seulement fuir le plus loin possible de Torino".

    La jeune femme à l'arrière ne disait rien et j'ai pensé qu'elle était la compagne ou la complice de l'homme.

    Curieusement, je n'avais pas peur, je prenais cet épisode comme un signe du destin. J'allais les accompagner, peu importe où cela me mènerait. Je me suis même retrouvée à me demander si je n'épouserai pas leur cause (je souris au mot épouser, moi qui fuyais l'HOMME.) Apparemment, on fuit un être humain pour s'embarquer avec d'autres...

      Le nouvel homme de ma vie a dit qu'il trouvait ça un peu pénible, les petites routes.

     Ah ! Je dois retourner sur l'autoroute, tant pis pour moi, j'y vais ...

    Ca y est, je suis lancée, je monte le moteur jusqu'à 130, les Kms défilent, l'homme fixe la route et la jeune femme caresse le chien. Plus de parole échangée, cela commence à être long. Tout à coup, un petit signal retentit. L'homme consulte son portable. Il lit sans doute un SMS et se met à hurler.

    "Tu sors à la prochaine aire de stationnement, nous devons y descendre. Ta voiture est maintenant trop risquée pour nous." Je suis sortie de l'autoroute comme il me l'avait demandé, je me suis garée sur un emplacement assez isolé pour ce genre d'endroit. L'homme reprend son révolver, descend de la voiture. La femme et le chien le suivent. Il me met un bandeau sur les yeux et me demande de le retirer seulement au bout de dix minutes. Il a pris le temps de me serrer La main avec une certaine reconnaissance, avant de s'écarter. Et là, je me suis sentie à nouveau exister.

  Michèle J.


 

rouler bis

 

     Je laisse derrière moi Ernest, Madeleine et leur chien Victor, une famille d'adoption.

     Ernest, droit comme un I dans ses bottes, m'a tendu la main, un homme c'est fort n'est ce pas, et j'ai fait comme si je ne voyais pas la petite brume dans ses yeux. 

    Madeleine, comme à son habitude, n'a pas caché ses émotions. Elle m'a pris dans ses bras en pleurant à chaudes larmes et m'a fait de gros baisers mouillés sur les joues, avant de se moucher avec fracas dans un grand mouchoir qu'elle avait prévu d'agiter à mon départ, mais qui a dû, du coup, rester au fond de sa poche.

    Quant à Victor, dans l'émotion, je lui ai marché par inadvertance sur la patte, et c'est moi qui ai du l'enlacer pour le consoler et me faire pardonner.

   Le camion était plein à craquer : des outils, des cartons, des planches, des vitraux, de la peinture... tout ce qui avait servi pour l'abbaye. Sans compter les confitures, les bocaux que m'avait remis Madeleine. Et puis, mes affaires personnelles, quelques fringues, des bouquins, des croquis, des photos...

  J'avais rabattu les sièges arrière et, malgré l'encombrement, je pouvais encore utiliser le rétroviseur intérieur.

  Sur le siège passager, des sandwiches, bien plus qu'il n'en fallait, de l'eau, un thermos de café, la route sera longue m'avait dit Madeleine, et sous le siège quelques bouteilles de vin et de l'eau de vie confiées par Ernest.

  Je les salue de la main une dernière fois et je monte dans le camion.

  Fenêtre ouverte, je file tout doucement en traversant la cour, ils me font tous les deux de grands gestes, et je klaxonne pour concrétiser mon départ. C'est fait !

  Avant de prendre la nationale, je fais un petit détour vers l'abbaye, encore envie de la revoir.

 

   Une brume persistante enveloppait le paysage. J'avais mis la radio et changeais de station à chaque pub, mais globalement ça captait mal. Il faudra bien que je me décide à me procurer un lecteur de CD.

  Soudain un chien, je fais une embardée, l'évite de justesse, j'entends les bocaux qui se renversent, les sandwiches et le thermos qui roulent à mes pieds.

  Plus de peur que de mal, mais je peste après ce foutu chien . Je m'arrête sur le bas coté, warning, dans ce brouillard c'est carrément dangereux et je saute du camion. Jappements, aboiements, deux pattes sales sur mon pull... Mais ? Non j'y crois pas, c'est Victor !

  Victor qui m'a suivi, bon sang, comment c'est possible ? D'ailleurs, les pattes sales sont plutôt des pattes ensanglantées, il a souffert l'animal.

  Pas le temps de réfléchir, c'est trop risqué ici, je fais monter le chien à l'avant et je file vers le prochain village. Je dois prévenir Ernest et Madeleine.

  Etrangement, la présence de Victor me plaît. Tout recroquevillé devant le siège passager, il lèche ses pattes blessées et halète en couinant dès qu'il sent mon regard sur lui. Il finit par s'endormir avant que j'atteigne le premier village. Evidemment, téléphoner en pleine campagne, pour un réfractaire du portable comme moi, ça n'est pas gagné d'avance. Et je dois encore tracer la route avant de trouver une cabine dans un drôle de bled triste, sans âme qui vive. Ernest ne répond pas, Madeleine non plus, mais de toutes façons, elle préfère laisser le téléphone à son homme. Etrange qu'il n'y ait personne à cette heure, un dimanche...

Je quitte la cabine téléphonique, un peu dépité et vaguement inquiet. Je suis déjà loin de Signy l'Abbaye et n'ai guère envie de faire la route en sens inverse. Et Victor qui me regarde avec des yeux énamourés ! « Allez le chien », dis je en remontant dans le camion, « on file, je préviendrai tes maîtres plus tard, et puis on avisera d'accord ? ». Victor émet un jappement et s'en remet au ronronnement du moteur pour s'assoupir de nouveau.

  A la sortie du village, un couple de jeunes gens jaillit d'un abri et du brouillard en entendant le moteur du camion. Ils me font de grands gestes, je m'arrête sans réfléchir, c'est la deuxième frousse que l'on me fait depuis mon départ.

  La femme ouvre la porte et, sans que je sache si elle veut un renseignement ou de l'aide, elle lance :

 « Vous allez vers le sud ? »

« Ben oui », dis je bêtement « et vous ? » .

« Où vous voulez », répond – elle, « du moment que c'est le sud ».

  Et, en l'espace de quelques secondes, avant que je puisse réagir tant la surprise était grande, l'homme a ouvert la porte arrière, a poussé les planches et les cartons, s'est installé en tailleur, le plus naturellement du monde dans l'espace ainsi créé.

  La femme a pris les sandwiches et le thermos sur ses genoux, a poussé délicatement Victor et s'est installé sur le siège passager.

  Elle a dit qu'elle trouvait ça sympa que j'accepte de les conduire un bout de chemin, comme si j'avais eu le choix.

  Je me suis retrouvé à me demander ce qui se passait depuis ce matin. Je partais seul, me voici à trois plus le chien et sans que je puisse décider de ce qui me plaisait ou non.

  La femme était bavarde, commentait sans attendre de réponse. Le jeune homme à l'arrière ne disait rien et j'ai pensé que c'était elle qui avait décidé de faire ce voyage et que lui, suivait.

  Je me suis posé la question de savoir si je devais leur mentir et prétexter un rendez vous ici ou là pour m'en débarrasser ou si je devais lier connaissance.

 Mais la femme avait cette faculté de parler et d'anticiper la suite et, à mon insu, elle me projetait plus avant.

  « Alors comme ça vous filez vers le sud, sans trop savoir où vous allez ? «  demanda-t -elle innocemment mais avec conviction.

« Mais je n'ai pas dit ça », essayai je de répliquer «je vais vers le sud, soit, mais je sais où je vais bien sûr »

« Ah bon, et vous allez où avec ce bardas et ce chien ? » continua t -elle .

« je vais... euh, et puis c'est bon quoi, ça ne vous regarde pas ».

« Oh, vous savez, je disais juste ça pour faire connaissance, moi ça m'est égal et d'ailleurs... ». et ainsi alimentait – elle un discours stérile dans lequel ni moi ni son compagnon ne pouvions en placer une , son compagnon d'ailleurs n'essayait même pas, il devait bien la connaître.

 

   Soudain, les cloches sonnent dans l'habitacle, Victor sursaute et commence à hurler, l'homme derrière farfouille en vain dans les sacs autour de lui pour finalement, extraire un téléphone portable dont la sonnerie est passée des cloches à la 5ème symphonie de Beethoven.
  Victor hurle toujours, c'est un cauchemar, je trouve une aire de stationnement et je m'arrête pour faire descendre tout ce petit monde et respirer un bon coup avant de hurler à mon tour.

  Je fais le tour du véhicule pour ouvrir les portières, Victor saute doucement en couinant de douleur sur ses pattes meurtries, mais le hurlement a cessé.

  L'homme et la femme regardent incrédules l'écran du portable : ils sont pâles et sans voix et je réalise combien le contraste est frappant entre le silence qui nous entoure à l'instant et la cacophonie précédente.

« Ca va ? » dis – je tout en me disant que ma question est stupide tant on sent que ça ne va pas justement.

« Vous pouvez nous laisser dans une gare ? » demande l'homme qui, pour la première fois, prend la parole.

  Je n'ai guère le choix, je n'ose pas poser de questions, nous repartons, l'homme entoure de ses bras les épaules de la femme. Celle ci n'émet plus un son, elle fixe la route, abattue.

   

Je les laisse à la première gare.

  «Vous savez où vous allez ? » demandai je à mon tour.

« Vers le nord, un bled, Signy l'Abbaye », répond l'homme.

  Victor et moi continuons alors notre route. Ernest et Madeleine ne répondent toujours pas au téléphone.

Gaëtane

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