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15 février 2013 5 15 /02 /février /2013 00:00

Monsieur Edouard

Édouard, claque la porte violemment, descend les escaliers quatre à quatre, et part marcher dans son quartier en quête de copains. Il est énervé.

Il a laissé sa meuf à l’appartement en train de crier après lui, une nouvelle fois.

Elle crie du matin au soir depuis trois mois, pour tout, pour rien,  le travail, l’argent, la gamine, les courses, la voiture en panne, enfin la litanie habituelle.

Il n’en peut plus.

Il s’est échappé au premier reproche cette fois-ci pour éviter d’avoir envie de lui envoyer son poing dans la gueule, pour la faire taire.

Dehors, l’air frais de novembre lui fait du bien. Le soleil caché par des nuages lourds a commencé sa descente derrière la barre des immeubles posés en carré, Edouard n’en a que faire. Yeux rivés sur le macadam, il marche, respire, remplissant ses poumons à fond, et tente de détendre ses épaules en s’ébrouant comme un chien.

Il prend son paquet de tabac dans la poche, reste cinq  cigarettes, il ne tiendra pas la soirée.

 

Il a ralenti le pas peu à peu  et se dirige naturellement vers son bureau de tabac au carrefour des quatre routes.

Le bruit de la circulation automobile sur la bretelle de l’autoroute tout proche arrive en sourdine, il ne l’entend pas.

Il faudrait qu’il trouve Marc, pense-t-il,  pour lui demander s’il peut lui filer de l’herbe pour ce soir. Mais Marc est un peu  insaisissable, parti ici ou là, à faire on ne sait quoi ou alors,  du business comme il dit.

Il y a aussi l’ardoise qu’il lui doit … combien lui a-t-il rappelé l’autre jour ? Edouard ne sait plus trop,  ne sait pas,  ne veut pas savoir ce soir, tout simplement.

Passant devant la pharmacie, il aperçoit sa silhouette dans la vitrine.

Il a une tête à faire peur,  avec son teint vert olive, sa casquette vissée très bas sur le front, sa barbe noire de huit jours, son profil taillé un peu à la serpe. Il n’incarne guère la joie de vivre.

Il a beaucoup maigri depuis le début de l’année, cela accentue ses traits anguleux, il semble même un peu moins  grand, voûté quasiment.

A trente huit ans, c’est un peu tôt pour se courber. Il n’est pas encore un petit vieux.

Il se redresse quelque peu, se dit pour l’énième fois qu’il faudrait qu’il trouve un vrai boulot, bien payé et qu’il s’y tienne. Mais les patrons sont tous des salauds, ils se débarrassent de lui au moindre retard du matin, à la moindre absence…

Ah ! Ils peuvent pas comprendre, eux, ils ont des bagnoles qui démarrent au quart de tour le matin, ils ont de la « tune » pour remplir le frigo et faire bouffer les gamins. Et puis leurs bonnes femmes sont belles, bien sapées,  coiffées nickel, pas comme la sienne, sa Maryvonne au pull gris déformé, aux cheveux gras, jamais coiffés ou si peu.

Pourtant, il se rappelle,  elle avait de l’allure quand il l’a rencontrée.

Il se souvient plus très bien comment ils ont fini par se mettre ensemble,  y a tout juste deux ans.

En fait, si,  il avait des problèmes pour payer son loyer, oui,  c’est ça, elle était sympa, ils sont sortis deux trois fois avec les potes, elle lui a proposé de venir chez elle, ils n’auraient qu’un seul  loyer pour eux deux, ils se plaisaient bien, il y est allé, voilà. !

Au début ils étaient bien, heureux ?  Il sait pas trop, enfin il lui semble.

Edouard ne sait pas très bien comment, mais elle est tombée enceinte. Elle prenait la pilule pourtant, il croyait.

Ça c’est les histoires de bonnes femmes, c’est trop compliqué pour lui.

 

Sa gamine va avoir quatre mois la semaine prochaine.

Elle est toute mignonne Soizic, il l’aime bien,  mais faut toujours plein de trucs pour elle. Il ne pensait pas que c’était si compliqué les gamins. C’est Maryvonne aussi, qui achète tout un tas de fourbis, pas sûr qu’elle a  besoin de toutes ces babioles…et puis faut plus fumer à la maison, rapport à la petite.

 

Il dépasse le bar « la pause », pas grand monde,  personne de connaissance à l’intérieur,  pas de Marc à l’horizon.

Il doit encore être en vadrouille, va-t-il le trouver ce soir ? Et  où ?

 

Tout près, il y a le local de ce docteur qu’il a vu une fois, un médecin qui propose des séances d’hypnose.

Ils ont bien rigolé avec ses copains quand ils ont entendu ce truc de « ouf » L’hypnose ! Tu te rends comptes…. Une histoire à dormir debout ! Faudrait faire ça avec les keufs pour pas avoir d’embrouille.

Il a quand même cherché dans son dictionnaire, celui du collège qu’il a tenu à garder, oui, oui des fois il cherche des mots dedans, puis un autre mot.

Il a regardé à hypnose, il en a conclu que ça ressemble un peu à un  magnétiseur.

Il a été  rassuré.

Edouard n’a rien dit à personne mais  il est allé le voir en douce, le docteur,  si ça marchait après tout.

 

Le médecin est sympa,  pratiquement du même âge que lui on dirait. Pas le genre costard cravate, heureusement.

Pour lui les choses ont dû être faciles, forcément, sûrement un fils de bourge !

 

La première consultation a été paperasse et baratin, tout ce qu’il déteste.

Il sait bien qu’il devrait arrêter tous ces cocktails pour s’en sortir, mais c’est facile à dire, il est pas à sa place le toubib.

Pour décrocher c’est dur,  puis y a les copains.

Le soir, lui,  il rentre bien au chaud dans sa maison, doit avoir une femme superbe qui l’attend au coin de la cheminée. Il a sûrement une belle baraque à la campagne, peinard !

 

Les lampadaires commencent à s’allumer le long des trottoirs et dessinent des carrés de lumière au sol; une pluie fine s’est mise à tomber. Il remonte son col.

 

Le voilà  devant le cabinet du médecin.

Le toubib est quand même courageux pense-t-il, de s’être installé dans le quartier, le mur est « tagué » de toutes sortes de dessins et inscriptions. Le bâtiment est plutôt vieillot, façade lépreuse, les boites à lettres sont  cassées à l’intérieur de la cage… C’est peut être cette raison qui l’a poussé  à aller le voir, c’est comme dans son porche à lui, aussi « crade » et délabré, il est pas dépaysé !

 

Il sonne et entre. Le docteur est justement dans le hall.

Edouard se dirige vers lui sans hésitation et lui demande s’il peut le voir en vitesse.

Le praticien ne répond rien et le fait entrer dans son cabinet.

 

Il ne l’a vu qu’une seule fois, mais il les connaît bien ces gars en galère, désoeuvrés pour la plupart, qui « zonent » dans le quartier pratiquement vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Il sait aussi que la drogue circule largement dans le secteur, ou plutôt « les » drogues.

Pendant ses consultations, quelques jeunes parlent un peu, parfois, en demandant des conseils,  en  parlant de tout, de rien, du rhume qui les embête, ou du permis perdu, et un peu de leurs problèmes en tournant bien large autour.

Le docteur écoute, entend, détricote, note, mémorise, l’air de rien.

Celui-ci, Edouard, a fait l’effort de franchir sa porte, de venir poser des questions sur l’hypnose, on ne sait jamais ce qui peut se passer, une chance à ne pas négliger.

 

Installé depuis près de douze ans sur ce secteur de la ville le Docteur LEPUIS  a vu les enfants devenir des adolescents puis, de jeunes pères de famille.

Il connaît certaines familles au grand complet : des parents aux jeunes enfants de la deuxième génération.

Les mamans racontent facilement leurs difficultés avec les ados, ça commence souvent  à l’école. Elles sont désemparées, même dépassées par la rapidité où elles voient leurs marmots grandir.

Elles ont peur pour leurs filles. Elles se sentent impuissantes, démunies,  face au phénomène de la drogue qui circule dans le quartier.

 Leurs maris, quand il y en a, sont au travail, ou sensés y être, ils ne s’occupent pas de médecine.

C’est pas leur domaine.

En poussant un peu ses questions le docteur pourrait connaître les dealers qui « tiennent » le quartier.

Mais il n’est pas flic, ce n’est pas son job.

 

Edouard est là,  devant lui.

Le docteur est debout. Il n’a pas le temps de le recevoir maintenant. Il lui demande :

« Qu’est ce qui vous amène » ?

« Je voudrais une séance d’hypnose » !

 « Ah ! Mais on ne peut pas faire une séance, là tout de suite, en vitesse,  parce que vous en avez envie. Il faut prendre un rendez-vous, prévoir du temps, qu’on organise un peu les choses avec  la prise en charge »

Edouard est un peu refroidi par le ton cassant et le discours sévère de ce début de conversation.

Le médecin lit alors dans les yeux noirs et cernés du patient,  un moment de détresse ou de découragement.

Il se reprend :

« Qu’est ce qui se passe » ? lui demande-t-il

« c’est ma femme, elle me casse la tête, ça va pas. » 

« Mais, c’est vous qui êtes là, qui dois-je soigner vous ou votre épouse » ?

Edouard relève la tête pour regarder le docteur : son épouse ? C’est bien la première fois qu’il entend ce mot pour désigner Maryvonne.

« On n’est pas marié répond-il – Non, non, c’est moi, je suis pas bien, je me sens bizarre»

Le docteur ne pose pas la question qui lui brûle les lèvres, mais il pense qu’il est peut être en manque, ce qui veut dire qu’il peut devenir violent en cours de soirée.

Il ressort consulter son agenda au secrétariat, soupire longuement, et revient en proposant :

« Revenez pour 19h30, dans une  heure, on verra ce qu’on pourra faire ensemble »

Edouard, soulagé subitement de ne pas se faire proprement renvoyer,  lui tend la main esquissant un : « merci, à tout de suite »

Il sort presque heureux du cabinet, il a une heure à « tirer »

Il allume une cigarette, sans s’éloigner du local, en grille une deuxième immédiatement aussitôt : ne pas repartir d’ici se dit-il comme si sa planche de salut se trouvait là.

 

Il tourne dans la rue d’à côté histoire de faire quelque chose, pour revenir une demi-heure après au pied du cabinet.

 Il entre et prévient la secrétaire :

 « Je suis en avance, le docteur m’a dit de revenir, je préfère attendre là »

 « Pas de problème, lui répond la secrétaire qui enfile son manteau pour partir.

Edouard devenu presque loquace lui dit :

 « La journée est finie » ?

« Oui !  Bonne soirée Monsieur »

Il est  toujours surpris d’entendre les gens polis s’adresser à lui, en lui donnant du Monsieur !

 

Avec la certitude d’être reçu par le docteur, son anxiété s’est quelque peu apaisée.

Il allonge ses jambes et feuillette une revue prise sur la table basse.

 

Puis le tour d’Edouard arrive enfin, le docteur a l’air pressé, pas commode.

Il lui demande de se dévêtir un peu, de s’allonger sur la table d’examen.

Edouard hésite et demande comment on fait pour l’hypnose.

« Je vais d’abord faire une consultation de base », attrape son stéthoscope resté à son cou.

« Je vais prendre votre tension, écouter vos poumons »

Ce que ne dit pas le médecin c’est qu’il est alerté par la maigreur du jeune homme, son teint  cireux et son iris  bordé de jaune, le blanc de l’œil  injecté de sang.

La tension est élevée, ça râle dans les poumons.

Il  palpe l’abdomen et sent nettement une masse importante sous ses mains à gauche.

Il pose quelques questions, qu’il veut légères en laissant courir ses doigts.

« Vous avez du travail en ce moment »?

« Non !» 

« Et la petite, çà va mieux son otite » ?

« J’sais pas » 

 

Les doigts sont revenus sur la masse sentie tout à l’heure, la trouve à nouveau. Pas possible que le patient ne se soit rendu compte de rien, c’est énorme.

« Vous avez mal là,  demande le docteur, mains posées sur la grosseur ?» 

« Un peu. »

« Et là ?» 

Pas de réponse mais un rictus explicite.

« Depuis quand avez-vous remarqué cette bosse » ? demande-t-il à Edouard

« Trois, quatre mois »

« Pourquoi ne m’en avez vous pas parlé ? »

Pas de réponse.

« Vous mangez comment en ce moment ? Ca  passe? Vous digérez bien » ?

« Ben ! Vous savez c’est souvent des nouilles, y a pas trop d’argent. Les allocations de ma femme, mes petits boulots, ça va pas loin »

Le docteur est déjà en train de rédiger une ordonnance pour une prise de sang en urgence et avoir les premiers bilans sanguins.

Il écrit un courrier pour un confère à l’hôpital. Vingt heures trente, il est trop tard pour appeler, les secrétariats sont fermés.

Il résume pour le jeune homme qui vient de s’habiller et dit en s’asseyant face au médecin :

« On fait pas d’hypnose alors ? »

« Ce soir on ne pourra pas maintenant,  il y a cette grosseur qui m’embête un peu. Je vous prescris une prise de sang pour demain matin – vous y allez n’est ce pas ? Et vous revenez me voir demain soir avec les résultats. Je vais tenter d’obtenir un RDV à l’hôpital et je vous donnerai tout en même temps »

« Pourquoi l’hôpital ? » demande Edouard, qui n’aime pas la tournure que prend la consultation. Il va se barrer, et planter le Docteur là avec ses paperasses. Il voulait une séance d’hypnose.

 

« Je veux savoir ce que c’est que cette grosseur » répond le médecin.

L’ambiance déjà tendue est devenue à couper au couteau.

Le médecin se reprend :

« On fera une séance d’hypnose quand on aura tous les résultats, je vous le promets »

Il raccompagne le patient jusqu’à la porte. Il ferme le verrou ; il est épuisé.

Vingt et une heure !

Ranger ses affaires, laisser un message à la secrétaire pour demain matin : appeler l’hôpital, demander les résultats au labo dès  quatorze heures, rappeler Edouard.

Il ferme sa sacoche, sent subitement toute la fatigue lui tomber sur les épaules.

Il lui reste la route à faire avant de retrouver sa femme et ses enfants.

La journée a été rude.

Il conduit tout en repensant à la dernière consultation : « une saloperie, c’est une saloperie, et même peut être bien avancée »

Il gare sa voiture à l’arrache, court presque pour embrasser les siens.

Il entre, la lumière est allumée dans le couloir, tout est éteint par ailleurs, plongé dans un silence inhabituel.

Il voit un post-it rose sur le bahut de l’entrée :

« Je suis partie au cinéma avec Chantal, marre de t’attendre. Les enfants sont chez tes parents, ils restent à dormir. Nathalie »

Il s’écroule dans le fauteuil.

« Ne pas prendre d’alcool, ne pas prendre d’alcool, tenir ! »

Il éclate en sanglots.

Mimo 

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15 février 2013 5 15 /02 /février /2013 00:00

LE RUBICUBE


Toutes ces dames cancanaient autour du thé, du café, des petits fours et de diverses douceurs : « Désirez-vous un peu de sucre ? Un nuage de lait ? … ».

rubicube-1-.jpg

On entendait parfois le tintement des petites cuillères en argent, quand les papotages cessaient l'espace d'un instant. Et ça reprenait de plus belle, ça causait soldes, affaires du siècle, foulards de soie, cachemire, fourrures... sans même s'étouffer.

Le plus drôle, c'était quand la conversation tournait au mode canin. En effet, chacune de ces dames disposaient d'un toutou, véritable outil d'affection, réceptacle de leurs humeurs, émotions, angoisses, joies et colères. À ce moment-là, chacune avait son mot à dire et le brouhaha de leurs voix entremêlées, finissait par ressembler à un concert de jappements, couinements voire aboiements quand l'une d'elle poussait le verbe vraiment haut pour se faire entendre.

Les chiens n'étaient pourtant plus admis dans ce genre de tea-party. Seule l'hôtesse du jour était habilitée à laisser son joujou-toutou manger les miettes, baver sur la moquette et hurler quand madame Richemont de Jacquemont, en particulier, dont la voix haut perchée frisait l'insupportable, tentait de capter l'attention.

C'est d'ailleurs chez cette dernière qu'un incident avait défrayé la chronique il y avait quelques temps et que la décision fût prise de ne plus convier les amis canidés aux petites sauteries de ces dames.

Mme Richemont de Jacquemont avait entrepris ce jour-là, de pousser la chansonnette, initiative très inattendue et plutôt inappropriée dans le contexte bon chic-bon genre de la petite assemblée.

Elle entonnât donc un air d'opérette avec un timbre de voix dont la fréquence s'approchait de l'ultra son. Tous les chiens se mirent alors simultanément et brusquement sur leurs pattes, et hurlèrent à la mort de façon ininterrompue sans que leurs propriétaires puissent les calmer et sans convaincre Mme Richemont de Jacquemont de la fermer.

En tentant de faire taire la cantatrice improvisée et leurs chiens, les cris des dames s'ajoutèrent à la cacophonie ambiante. Les voisins, excédés, alertèrent la police et ce fut l'arrivée inopinée des policiers dans son salon qui stupéfièrent suffisamment Mme Richemont de Jacquemont pour qu'elle cesse immédiatement son opérette hululante et que les chiens fassent de même.

Dans le silence qui suivit, l'hôtesse, sonnée, honteuse, saisit le rubicube qu'elle utilisait régulièrement comme anti-stress, et se mit à tourner les faces et les faces pour retrouver un semblant de calme.

rubicube 2

C'est à partir de ce jour que la race canine fut bannie de ces rencontres, quoique certaines des convives estimaient que le scandale n'était, à la base, pas de leur fait.

 

La gente masculine avait subi la même exclusion quelques semaines auparavant. En effet, il était de bon ton jusqu'alors, de convier l'homme de la maison, s'il y en avait un, aux goûters de mesdames.

La compagnie de M. Lebossu était particulièrement appréciée car il ne disait strictement rien. C'était un petit homme terne et sans saveur, mais qui savait très à propos, sourire et opiner du bonnet. Il faut dire que Mme Lebossu, un vrai dragon, l'avait bien « éduqué », c'est le terme adéquat, puisqu'elle parlait de lui comme elle parlait de son chien.

Or, un jeudi après-midi, tandis que les conversations allaient bon train, un observateur averti aurait constaté que M. Lebossu n'était pas comme à son habitude. Sourire crispé, pommette rouges, sourcils froncés, il écoutait toujours le babillage féminin mais un léger tremblement du genou trahissait une exaspération grandissante. Et puis, sans crier gare, alors qu'un ange passait dans un frottement d'ailes, M. Lebossu s'est dressé en hurlant, en renversant les tables et tout ce qu'il y avait dessus.

La surprise fut totale, d'autant plus que, pour ajouter au désastre, l'homme se mit à écraser de ses pieds, les sablés, les macarons et pour finir, à tenter de faire taire sa femme en lui lançant au visage le rubicube de Mme Richemont de Jacquemont. Ce sont les services d'urgence qui réussirent à maîtriser le forcené.

Quoique personne n'ait compris ce qui avait déclenché cette crise soudaine chez un monsieur d'habitude si calme, il fut décidé qu'à partir de ce jour, les individus de sexe masculin ne seraient plus invités aux assemblées. Mme Lebossu s'est, depuis, séparée de son mari et s'est entichée de quelqu'un d'autre qu'elle éduque de son mieux.

 rubicube 1bis

Sans doute ces femmes d'un âge certain, sujet qu'il ne fallait surtout pas évoquer d'ailleurs, avaient-elles besoin de se retrouver entre elles et rien qu'entre elles pour qu'au fil des mois, elles en arrivent à ne plus supporter tout ce qui n'était pas permanenté, coloré, bigoudiné.

Car, avant les hommes et les chiens, leurs petits -enfants furent aussi interdits de séjour.

Au début, dans ce qui régentait implicitement leurs rencontres, il avait été établi que, si l'une de ces dames avait malencontreusement un, mais un seul, de ses petits-enfants en garde le jour du goûter, il pouvait y assister, à condition que sa grand-mère en ait la maîtrise. 

C'est ainsi que la petite Eulalie, 6 ans, petite fille de Mme Rigoudeau, fut présente un jeudi après-midi de vacances scolaires. Au début, ce fut l'enthousiasme tant la fillette ressemblait à une poupée de porcelaine : cheveux bouclés en anglaises dorées, teint de cire et grands yeux bleus. Même les plus revêches cherchèrent à caresser la peau ouatée de la petite, à lui parler, à l'amadouer. Eulalie se laissait faire. Quand l'attention se détourna d'elle, elle pût vaquer à ses occupations et comme elle avait l'imagination fertile, elle trouva très vite de quoi s'amuser.

Eulalie se mit d'abord à caresser les chiens, leur faire des câlins puis leur donner du sucre, sous la table, en particulier à celui de Mme Le Bossu, le plus caractériel, traumatisé par l'éducation de sa redoutable maîtresse. En cachette, elle finit quelques verres de vin jaune, qui ressemblait à de la citronnade et dont le goût n'était pas pour lui déplaire. Un peu pompette, elle déambula dans les pièces, trouva un briquet dans la cuisine de sa grand - mère et, toute guillerette, réussit à le faire fonctionner, cachée derrière les rideaux. Quand l'odeur de brûlé finit par alarmer les buveuses de thé, ce fut un grand chambardement : l'une appelait les pompiers, une autre hurlait que son chien était empoisonné, tandis qu'Eulalie gisait dans son vomi. Les pompiers découvrirent ainsi la fillette qui, avant de s'écrouler, avait pris soin de boucher les toilettes en y cachant le rubicube de Mme Richemont de Jacquemont. Mme Rigoudeau était profondément dépitée par le massacre de ses rideaux mais aussi par le fait qu’elle ne reconnaissait pas là le comportement de sa petite fille qui, bien qu’inventive, restait un modèle de sagesse quand elle était seule avec elle. 

 

Les enfants, les hommes, les chiens, tout cela créa chez ces dames un climat de suspicion détestable. En effet, à chaque fois, le comportement des individus concernés demeurait inexplicable et inexpliqué. Mme Richemont de Jacquemont, en particulier, qui lisait beaucoup de romans policiers, était très troublée par toutes ces affaires .La dernière, où elle s’était donnée en spectacle lui restait un peu en travers de la gorge et elle se mit en devoir d’observer le petit monde, persuadée qu'il y avait un mystère à élucider.

Ainsi, au fil des rencontres, tout en manipulant son rubicube, elle se tint un peu en retrait, participa moins aux conversations, pour mieux se concentrer sur les dires et gestes de chacun. Elle avait pris le parti, à chaque goûter, de s'attacher à une personne en particulier. Son comportement devint vite infernal, car elle voyait malice partout : une de ces dames n'a t- elle pas échangé son verre avec sa voisine ? Une autre ne s'empresse-t-elle pas de proposer des sucrettes, mais qui dit que ce sont bien des sucrettes ? Cette bouteille n’était-elle pas déjà débouchée avant le goûter ? Le lait n'a-t-il pas une odeur très particulière ? Sont-ce bien des feuilles de thé ? Ce gâteau n'a-t-il pas un goût étrange ? Pourquoi l'hôtesse ne boit-elle pas son propre café ? …

Bref, la tension devint palpable et l'amour propre des convives sérieusement ébranlé. Et c'est ainsi que, pour ne plus avoir à affronter les suspicions douteuses de Mme Richemont de Jacquemont, et dans un dédain manifeste de ses considérations déplacées, ces dames ont fini par déserté, une à une, le rituel hebdomadaire du goûter.

Mme Richemont de Jacquemont, loin de s'offusquer, y voyait là, la preuve de sa perspicacité.

Un jeudi après-midi, seule dans son salon, c'est ce qu'elle expliquait à une assemblée imaginaire, à qui elle offrait le thé. Tout en conversant avec les uns et les autres, faisant les questions et les réponses, elle versa négligemment un produit exaltant dans sa propre tasse, avec l'adresse d'un illusionniste. Elle tourna ensuite quelques faces de son rubicube pour se mettre en condition, se racla la gorge et entonna cet air d'opérette qu'elle avait à coeur de maîtriser, sous les yeux d'un public fictif mais docile qui savait lui, apprécier, ses compétences vocales à leur juste valeur.

Gaëtane Leroux

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15 février 2013 5 15 /02 /février /2013 00:00

Chemins de traverse

Chemins de traverse 

Le nez collé à la fenêtre, en ce début de janvier, il regardait comme tous les matins, le soleil monter lentement dans le ciel. Il était presque midi et la lumière inondait la nature toute entière au dehors.

Son regard fixait de fines gouttelettes irisées qui scintillaient en longs colliers, dans le silence des branches dénudées. Il restait là, ému, fasciné.

Depuis le premier jour de l’an, il sentait le printemps arriver…«Toc-toc ! »…« Entrez !... ».

Dans son cœur et sa tête, le renouveau s’annonçait. Tous les ans  à cette  date précise, il ressentait la même chose. Tout frémissait…les couleurs, les parfums surtout, et les chants d’oiseaux, les bourgeons aussi…

Il était prêt à s’élancer dans la campagne en direction des beaux jours.

Marcher ! Voilà ce qui, depuis plusieurs mois l’obsédait. Marcher, marcher dans le silence et dans l’air pur et peu importe ce que ses jambes auraient à endurer.

Malgré le froid de l’hiver,  la chaleur en lui était bien là, puissante,  et le submergeait, le portait vers de possibles  horizons qu’il espérait. Découvrir le monde, traverser les prés, les bois, les villages, rencontrer des gens…

Il en rêvait souvent de son voyage, espérant que la douceur du dehors se précise, scrutant le moindre frémissement de vie.

Déjà les mimosas formaient soigneusement leurs perles de lumière qui bientôt embaumeraient les jardins.

Les noisetiers laissaient danser leurs chatons de soie pendant que dormaient encore les roses.

Dans les massifs, des centaines de timides petites têtes vertes pointaient déjà le bout de leur nez.

Tout vibrait dehors et en lui… C’est sûr le printemps arrivait…

Cette énergie habitait maintenant avec force,  tout son être. Il ne pouvait plus rester là dans ses contemplations et puisque personne ne le retenait ici, depuis que sa femme était morte, partir devenait une évidence, une nécessité absolue.

Tourner la page, avancer, vivre, revivre...

Une sorte de fièvre l’envahit. Se dirigeant vers le placard de l’entrée, il trouva son sac à dos (il en avait vécu celui-là !), il le soupesa à vide, évalua le poids qu’il pourrait porter, puis alla  vers l’armoire de la chambre.

Il choisit avec soin des vêtements chauds et légers, quelques sous-vêtements, ses affaires de toilette réduites au minimum, son vieux duvet d’oie. Le sac commençait à prendre forme.

Prévoir une lampe, quelques victuailles et demain il partirait. Il avait un peu d’argent de côté et trouverait bien de quoi donner un coup de main dans des fermes ou ailleurs pour arrondir son budget.  Avec un peu de chance, il pourrait peut-être même trouver le gîte et le couvert !

Toute la journée il arpenta la maison de long en large. Il vérifiait tout, rangeait ses affaires, ses papiers importants, nettoyait, revérifiait…la maison, le jardin, un peu inquiet malgré tout de laisser là tout en plan.

Est-ce que ce voyage tant rêvé avait vraiment du sens ? Est-ce que ce désir profond de partir n’était pas plutôt une fuite ?

Il sentait en lui une puissance indicible le pousser vers l’avant, le tirer au dehors, comme si quelqu’un était là pour lui dire : « allez ! bouge ! vas-y ! »

Etait-il vraiment prêt ? Le serait-il d’ailleurs un jour ? Alors pourquoi réfléchir, se questionner ?

Et si c’était sa femme qui depuis là-haut tendrement,  lui montrait le chemin ?

Il pensait toujours à elle avec amour et souvent ressentait une sorte de présence, comme si elle était là, attentive et protectrice auprès de lui.

Il lui parlait de temps en temps et même presque tous les jours, mais n’osait se l’avouer.

Elle restait sa compagne, sa princesse invisible qu’il croyait voir la nuit, perdue dans le ciel étoilé…Vénus…oui c’était Elle, Vénus…son étoile du berger…

Peu à peu au fil de la journée, ses craintes se dissipèrent et le soir venu, après un repas pris en silence, presque religieusement, il alla se coucher, plutôt calme, avant le départ qu’il décida pour le lendemain.

Après une nuit bien courte, dès l’aube, bien avant que le soleil n’atteigne l’horizon, il se leva, ouvrit grand les fenêtres, laissa l’air frais s’engouffrer dans toute la maison comme pour la nettoyer, la vider de ses souvenirs. Il se sentait plus léger.

Respirant à pleins poumons, il ferma les yeux et se laissa envahir par les parfums subtils du dehors.

Le printemps pourtant loin encore sur le calendrier, arrivait jusqu’à lui, émerveillant tous ses sens !

Une immense joie et une grande paix le portaient. Il sourit.

Ce matin, dans le ciel bleuissant du petit jour, Vénus, son étoile, brillait encore. Etait-ce un signe ?

Dans moins d’une heure il regardera autour de lui, saluera le jardin et fermera la porte.

Le voyage pouvait commencer, il était prêt. Maintenant il le savait.

Savourant les dernières minutes avant son départ pour de longs mois sans doute, à travers monts et vallées, il se mit à revoir sa vie.

La rencontre avec sa douce, leur mariage, leur grande complicité, tous les amis, les jours de joie, les jours de peine aussi, l’enfant qu’ils avaient attendu et qui n’était jamais venu…tout lui revenait avec force comme pour dire qu’il lui fallait partir pour guérir.

Comme un rappel du temps, la pendule de l’entrée laissa sonner les sept coups qui le ramenèrent à la réalité.

Tout était prêt, son sac, la maison, le jardin.

Emu, il regarda la porte comme jamais il ne l’avait vue. Elle s’ouvrait lumineuse et semblait lui dire « Bon voyage, prends soin de toi…et à bientôt ! »

Jetant un dernier coup d’œil à la ronde, il endossa son sac, mit sa main fébrile sur la poignée de la porte et d’un geste se voulant assuré, ferma soigneusement la maison.

Dans le silence encore obscure du petit matin, il  entendit la clé cliqueter dans la serrure, s’arrêta un instant, regarda à nouveau autour de lui, respira longuement puis d’un pas calme et décidé,  il partit, enfin.

 Claudine Thiollet

                                                                                                 

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15 février 2013 5 15 /02 /février /2013 00:00

La démarche sensuelle, l'hôtesse s'avance pour donner les consignes de sécurité. Bienvenue sur le vol Air France n° 4712.

Roger vérifie pour la 8ème fois l'attache de sa ceinture de sécurité-tranquillité.

Premier voyage en avion, au bout le Maroc et son frangin Marco, grand frère modèle qui a fait fortune avec son magasin de bricolage.

Chaque minute le rapproche de l'apéro sur la terrasse ensoleillée, loin de l'hiver parisien, des problèmes d'inondation, des métros bondés, des bonds pour éviter certains crétins conducteurs.

Ces images grises s'éloignent, son estomac se dénoue, ses mains se décrispent, l'avion a décollé. Le papier peint de son pavillon de banlieue aussi. Son siège est côté hublot, entre les nuages il devine la mer. Son esprit navigue entre passé et futur, les réunions amicales avec les voisins devant la cheminée, les prochaines retrouvailles familiales dans la pimpante villa marocaine sous un soleil dru ; Marco, sa nouvelle femme, son nouveau métier.

- Jus d'orange, thé, café ? Le doux visage de l'hôtesse, sa voix limpide le font gicler hors de ses pensées. Délicieux ce visage penché sur lui, ce regard bleu azur. Acide le jus d'orange, sans glaçon, sans le son du glaçon.

Roger plane à 12 000 m d'altitude et commence à goûter un zeste de sérénité.

La peur du vide l'a quitté. Sa femme aussi, 6 mois plus tôt.

L'écran du hublot le rassure, sa femme aussi, lorsqu'ils retapaient ensemble le petit pavillon, même les murs étaient tapissés de leur complicité.

Une joyeuse persévérance les habitait.

Récemment, son cousin lui avait dit « méfies-toi, elle est trop blonde pour toi, un jour elle te quittera. » Il n'avait pas compris ni cherché à comprendre, la boutade lui était montée au nez, son ego avait contourné l'intuition d'une vérité.

Marco, le roi des bricolo n'était pas fin psychologue, ni expert en conseil conjugal … Paroles en l'air.

Roger étend ses jambes et s'accoude. L'accoudoir de droite lui semble étonnamment rembourré. Ce n'est pas l'accoudoir, c'est le bras de sa voisine dodue, qui dodeline de la tête en soupirant sur ses mots fléchés dès qu'un éclair d'idée lui échappe. Roger n'a jamais vu un pot d'échappement aussi gros. Lui si sensible aux justes proportions chez une femme et un brin macho.

La quarantaine bien mâchée, pourquoi changer … Pourtant, c'est peut-être l'occasion de voir la gente féminine au-delà de son enveloppe, de ses contours.

Cette femme a sûrement une intelligence fine, une grande sensibilité, de la délicatesse...

Les WC c'est où ?

Roger sort de sa torpeur, torpillé par une voix rauque, masculine, campagnarde.

Son ''racisme'' légendaire envers la province l'emporte sur cette première tentative d'empathie.

Au fond mais le voyant est allumé, c'est occupé !

Bon, j'irai plus tard, je vais me repoudrer ici

Joignant le geste à la parole, le cliquetis d'un sac avachi annonce la sortie du poudrier et pas seulement, bâton de rouge à lèvres et parfum. Un nuage odorant enveloppe Roger qui développe instantanément une certaine impatience, voire animosité envers le spécimen.

Partagé entre l'envie de profiter du voyage ou déclarer les hostilités, il finit de noyer sa soif sans glaçon et se laisse de nouveau happer par le paysage au verso du hublot. La silhouette de l'hôtesse glisse dans un reflet.

« Dans quelques minutes, nous allons amorcer la descente, veuillez … »

Une secousse brutale, un bruit anormal annulent son sourire béat.

Une énorme masse s'abat sur lui, bruit de verre cassé, son regard se brouille, son cœur s'emballe. Sa voisine en se levant brusquement a perdu l'équilibre,

90 kg de chair féminine viennent de s'abattre sur lui. Aplati en personnage de Tex Avery, il réceptionne le colis, reprend ses esprits, époussette les virgules de pulpe d'orange sur sa chemise.

Au sol, les glaçons fondent, la femme se confond en désolation-1000 excuses je suis navrée. L'hôtesse aux lèvres pulpeuses éponge les éclaboussures.

Roger absorbe le choc et reprend son souffle, un mouchoir se tend devant lui, au bout du mouchoir, une voix râpeuse :

Je suis Colette Ménard, euh, vous en avez encore un peu là …

L'envie de lui mettre une paire de baffes le démange mais il se retient.

Voici ma carte, pour me faire pardonner, je vous invite au restaurant de mon mari, il a vendu son magasin de bricolage et se lance dans la restauration !

Roger déglutit péniblement, il réalise qu'il vient de faire la connaissance de sa belle-sœur …

 

Bénédicte

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15 février 2013 5 15 /02 /février /2013 00:00

Un petit carré de plastique

 

Juliette est dans un état de stress maximum : aujourd’hui, elle enregistre son premier CD. Oh ! Ce n’est pas encore un album de 20 chansons, mais c’est un début et pour elle, c’est l’aboutissement d’un rêve. Toute petite, elle s’enfermait dans sa bulle, en se protégeant sous sa couette, elle s’imaginait vedette de la chanson française, une star quoi !

Chaque soir elle vivait « son » spectacle : devant un parterre d’inconnus elle chantait, vibrait, dansait dans sa robe d’or et de paillettes. La canne du micro virevoltait entre ses mains au rythme de ses mélodies douces ou endiablées.

Maintenant, elle est là, la bande son a déjà été enregistrée par les musiciens, elle est seule en studio, prête à poser sa voix pour l’éternité. Elle tremble, l’estomac noué et les mains moites. Elle commence doucement puis elle prend confiance peu à peu et s’affirme sous le regard étonné de Vivien, l’ingénieur du son qui l’observe depuis sa cabine. Il s’était dit en la voyant, " encore une jeunette qui se prend pour la Callas ! ", mais au bout de quelques secondes, il réalise qu’il vit un moment d’exception et il le savoure en silence.

L’air entonné par Juliette est tout simplement magique, il le transporte, l’émeut. Vivien en oublie d’actionner les curseurs qui servent à améliorer le timbre de voix. Avec Juliette, c’est inutile, tout est beau, tout est parfait dés la première prise de son.

Quand elle termine sa chanson, Juliette observe Vivien, son premier spectateur inconnu, l’air interrogatif, elle attend son verdict. Il la regarde, médusé, puis se reprend et lève le pouce en l’air pour lui faire comprendre à travers la vitre que la prise est bonne. Il appuie sur un bouton, l’ordinateur se met à graver le tout premier CD de Juliette, puis l’éjecte. Vivien prend alors un boitier vierge, insère le CD et la jaquette dedans et montre le tout à une Juliette pétrifiée à l’idée qu’un simple petit carré de plastique puisse décider de son avenir.

Vivien sort de sa cabine, s’approche de Juliette, lui tend le CD et la regarde intensément, presqu’avec insistance. " C’était bien ? " lui demande-telle timidement. Il l’impressionne, il pourrait être son père, il a surement dû côtoyer les plus grands chanteurs, peut-être même ses propres idoles. Aussi, elle attend sa réponse avec inquiétude ! 

Il l’observe, se tait encore un instant, volontairement, puis il se met à parler, parler, sans discontinuer. Il lui raconte tout :

  - comment il peut techniquement embellir les timbres de  voix, les trafiquer,

- combien de faux chefs-d’œuvre il a déjà fabriqué, 

- les séances interminables  lorsqu’aucune prise n’est utilisable,

- les relances des chanteurs dés le lendemain pour avoir « leur »maquette,

- les prétextes inventés pour lui laisser le temps d’arranger les voix,

- les faux compliments pour faire plaisir aux pseudo-artistes,

- les vérités retenues pour ne pas blesser ces jeunes incrédules….

Etourdie par ce flot ininterrompu de paroles, persuadée qu’elle ne sera pour lui qu’un mauvais souvenir de plus, Juliette sent sa gorge se nouer. Les larmes de déception coulent sur ses joues, son rêve s’enfuit à grands pas, elle le comprend en écoutant cet ingénieur du son si compétent, si expérimenté.

Vivien enchaine subtilement : " Mais non, mais non, ne pleurez pas, vous c’est différent, tellement différent, tellement surprenant ! J’en suis encore tout retourné. Quand je vous ai entendu chanter pour la première fois, j’ai été bouleversé par le timbre si pur de votre voix. Je n’ai pas eu besoin de trafiquer quoique ce soit. Vous êtes une vraie chanteuse, votre voix est un cadeau de la nature. En plus, jolie comme vous êtes, je vous prédis un bel avenir ! Je suis votre premier auditeur inconnu et je suis déjà sous le charme de votre talent, c’est un signe du destin pour vous !"

Vivien reprend son souffle, une idée lumineuse lui vient : " Vous savez, les grandes maisons de disques m’appellent parfois pour me demander si j’ai repéré de jeunes talents. Dés demain matin, j’appelle M. Carré, responsable des nouveautés chez Virgin et c’est sûr, ils vont vous faire signer un contrat ! "

Juliette, émerveillée, ne pleure plus du tout, elle rit, elle est aux anges, elle déstresse enfin et elle embrasse Vivien pour le remercier. C’est sûr, il va l’aider, il va lui faire rencontrer les bonnes personnes. Ca y est ses rêves se réalisent, elle va les faire ses spectacles qu’elle imaginait, enfant.

Devant l’air enthousiaste de Juliette, Vivien jubile dans son for intérieur ! Belle trouvaille que ce M. Carré, responsable des nouveautés chez Virgin, il la ressortira une prochaine fois !

Il a encore réussi son coup, il a embobiné facilement cette midinette. Il sait qu’il va une fois de plus parvenir à ses fins avec cette petite ingénue fort sexy ma foi ! Elle finira bien par arriver dans son lit, comme les autres !

Certes, elle a une voix magnifique et elle fera surement une grande carrière, mais ce n’est pas vraiment ce qui intéresse Vivien, le baratineur talentueux, amateur de chair fraiche.

Ce vivier de jeunes talents avide de gloire ne représente pour lui qu’un vivier de futures proies ! Quel plaisir de venir travailler tous les matins ! Vivement demain !

Brigitte

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15 février 2013 5 15 /02 /février /2013 00:00

LE PATCHWORK DE MAURICETTE


Mauricette, infirmière nouvellement en retraite commençait à s'ennuyer ferme. Toute sa vie, occupée à recoudre pour les autres les cicatrices de la vie, elle avait perfectionné l'art du point de suture et sa dextérité était une des facettes de ses talents. Mais elle n'avait plus le droit d'exercer. Chaque jour, la lumière du soleil déclinait et il ne s'était rien passé. Elle sombrait doucement au fil des jours sans couleur. Les vœux du nouvel an que lui adressaient ses amis avec douceur et tendresse la secouèrent brutalement. STOP se dit-elle, il faut que je forme le projet d’une nouvelle journée où je dois sentir la différence. Je dois aller vers de nouvelles choses. Elle chercha dans son tissu relationnel et appela Bertille, une ancienne collègue. "As-tu des projets pour le weekend ?"

"J'ai deux ou trois idées variables, répondit celle-ci. Ça dépend du temps. Je vais sans doute aller voir l'exposition de patchwork à la salle des fêtes. "

Mauricette avait décidé de suivre le mouvement et c'est ainsi que trois jours plus tard, les deux amies se retrouvèrent au milieu de cette exposition de coutures étonnantes de petits carrés de tissus. L'idée de géométrie semblait guider les créatrices qui passaient des mois entiers à sélectionner des tissus et les assembler patiemment pour composer comme un immense kaléidoscope multicolore. Sceptique, elle interrogea les passionnées de l'activité.

Rejoignez notre groupe - disaient elles - vous apprendrez à créer vos cartons, composerez votre œuvre qui sera unique. Nous pouvons passer des centaines d’heures pour réaliser une œuvre comme celle-ci indiqua l'animatrice que Mauricette trouva un peu illuminée avec ses bouts de tissus.
Mais il ne fallait pas reculer. Elle devait sortir de sa léthargie dépressionnelle et sans même réfléchir fit le chèque de 45€ de cotisation annuelle, ce qui il est vrai incluait l'ensemble de l'activité.

L'atelier était ouvert trois après-midi par semaine. Cela lui parut énorme, mais il est vrai, pas plus que la marche nordique à laquelle elle s'était aussi essayée.

Le rendez-vous était pris pour le mardi après-midi. Dès le début, elle fit sensation. On aurait dit une des fées de Cendrillon cousant la robe de bal. Il faut dire que sa maitrise de la couture des tissus humains était facilement transposable. Au bout d'un mois ou deux, elle sentit le bienfait mental de cette activité. Elle trouvait ces séances apaisantes et retardait même le plus possible le moment du départ. Il faut dire qu'elle avait vu grand : un couvrepied pour un lit de 160. On l'avait prévenue, elle en avait bien pour un an à condition de venir au moins deux fois par semaine.

Petit à petit sa vie changea. Elle se souvenait de ces paroles du sage :" Ce qui compte ce n'est pas le but, c'est le chemin " Elle avait découvert le moyen d'une méditation bienfaisante. Mais bientôt son entourage commença à s'inquiéter pour elle. Elle ne s'intéressait plus à rien d'autre et était tellement focalisée sur son couvrepied que ses amies pensèrent qu'il fallait l'aider à sortir de cette obsession. Sa vie s'organisait à assembler des petits carrés avec des carrés plus grands; les positionnant droits, sur pointe ou encore en damier. Elle était entrée dans un monde fractal, sans fin, où la suite s'engendre naturellement au dessin précédent. On allait vers le vertige de l'infini. Les trois après-midi par semaine ne lui suffisaient plus. Elle continuait chez elle, dans le train, partout.

Un jour pourtant, tout changea. L'atelier patchwork accueillait un nouveau membre : Serge.

Son arrivée fit sensation. Un mètre quatre-vingt, des biceps plein les manches, aurait chanté Nougaro. Une montagne de muscles, des mains énormes. Le murmure des conversations s'arrêta soudain. Seule Mauricette, imperturbable avait gardé les yeux baissés, attentive à sa tâche.

Quelque chose avait changé dans l'ambiance de l'ouvroir de la Maison Pour Tous.

Je viens me renseigner sur cette activité indiqua le nouveau venu qui avait un léger accent anglo-saxon. . Je cherche une occupation car je vais bientôt avoir beaucoup de temps disponible et vais être retenu dans un lieu un peu à l'étroit d'où je ne pourrais pas sortir avant au moins six mois. En fait, j'ai 15 jours pour apprendre les rudiments parce qu’après ... Je pense avoir l'autorisation pour m'occuper comme cela, mais ce qui m'inquiète un peu, c'est l'absence de lumière du jour.

Donc je viens me faire une idée. Ces dames, sans le laisser paraitre, se posaient bien des questions. Qui était ce nouveau venu? Avec ses pognes d'étrangleur. Un simple dragueur? Un individu trouble?

La seule qui ne se posait pas de question, c'était Mauricette, taciturne et obstinée.

Ce fut Serge qui la remarqua le premier.

" Permettez-moi de m'intéresser à votre œuvre. Puis je vous regarder faire quelques temps. Je voudrais comprendre pour voir si je suis capable.

Le premier après-midi s'écoula ainsi. Serge observait les doigts agiles de Mauricette, la précision des coupes, des montages, des coutures.

Mauricette était tout de même très fière de son art.

Un peu avant la fin de la séance, elle reçut pourtant un choc terrible. Un vertige s'angoisse s'empara d'elle d'une simple phrase prononcée par Serge à son oreille. Ses copines virent immédiatement son grand trouble, son souffle court.

On se dit au revoir en se donnant rendez-vous pour le surlendemain. Serge partit le premier. Les copines, Michèle, Claudine, Brigitte, Monique se pressèrent près d'elle et lui demandèrent :" Ça ne va pas Mauricette? Tu trembles.

Mauricette se fit beaucoup prier pour avouer la cause de son émoi.

C'est, ... C'est Serge; il m'a dit ... Il m'a dit... Elle montrait du doigt un point sur son couvrepied.

Tout doit être parfaitement symétrique. C'est l'objectif même de mon travail et là, il m'a fait observer que j'ai fait une erreur. Ce carré-là devrait être identique à cet autre, situé de l'autre côté de l'axe. Or à droite il est droit et à gauche je l'ai positionné sur pointe. Elle sanglotait. C'est irréparable, irrattrapable, irrémédiable.

On la ramena chez elle. Elle voulait tout abandonner mais ses amies lui firent promettre de revenir.

Pour la prochaine fois, on passe te chercher. On ne va pas te laisser comme ça.

La séance suivante regroupa tous les adhérents (maintenant on ne parlait plus d’adhérentes) à la Maison Pour Tous.

Mauricette était toujours aussi déboussolée et ne savait plus comment aborder son ouvrage.

Ce fut Serge qui lui redonna un rôle provisoire. -"vous pouvez peut être me coacher, me guider dans cet apprentissage délicat "

Pourquoi pas songea Mauricette. Je garde le contact avec le groupe et je diffère mon problème de symétrie. Elle lui montra d'abord comment on tient une aiguille et fut elle aussi surprise de ses doigts énormes plus adapté à la boxe qu'au maniement de l'aiguille. Elle s'interrogea un moment sur ses orientations sexuelles mais trouva rapidement ses pensées ridicules tout en ayant du mal à les évacuer.
- " Vous disiez avoir peu de temps pour apprendre, comment cela se fait-il ? " Lui demanda-t-elle.

 - " J'ai effectivement une quinzaine, trois semaines tout au plus. Je n'ai pas le choix. "

Qu'avait il fait pour mériter un tel sort? Elle ne savait trop comment obtenir plus de renseignements.

 - " J'ai choisi cette activité parce qu’on peut l'exercer sur une place extrêmement réduite, voire sur ses genoux. Et là où je vais ... C'est très confiné. Je pense travailler par petits modules et faire l’assemblage après, à l'air libre.

- Mais vous ne pensez pas faire autre chose? risqua prudemment Mauricette qui décidément était intriguée.
Lire peut être, répondit Serge. Mais même pas la radio. L'émission La tête au Carré va me manquer.

Mais que voulez-vous, on ne choisit pas toujours.

Pour la séance suivante, ses amies, peut-être un peu jalouses mirent sérieusement Mauricette en garde.
Attention, tu ne sais pas où tu vas avec ce type. On voit bien que c'est louche. Il va être incarcéré, c'est sûr.

Monique qui avait même fouiné juste un peu dans le sac de Serge avait remarqué une étiquette cousue. Matricule MA283. Je pense que ça veut dire maison d'arrêt et que c'est le détenu 283, sans doute en liberté conditionnelle.

Serge apprenait vite car Mauricette lui prodiguait inlassablement ses bons conseils.

La séance suivante, la dextérité de Serge étonna tellement la monitrice que Mauricette se crut obligée d'avouer.

J'y suis sûrement pour quelque chose. J'ai passé le weekend chez Serge. C'était intense. Serge crut bon d'ajouter :" en fait on a sélectionné de nouveaux tissus, dessiné des motifs...

Mauricette reprenait des couleurs car elle se sentait de nouveau utile, elle qui avait passé sa vie à aider les autres.

Et puis, quoi qu'ai fait Serge et la dette qu'il devait payer, il fallait éviter d'être dans le jugement. Parfois elle se retenait de sentimentalité, il avait tout de même 15 ans de moins qu'elle, mais à d'autres moments...

Peu de temps après, à la réunion suivante, Serge annonça: " c'est aujourd'hui la dernière séance car je ne vais plus pouvoir revenir. Je remercie chacune d'entre vous pour l’aide, mais plus particulièrement Mauricette qui m'a pris en main et apporté beaucoup.

Vous nous donnerez tout de même de vos nouvelles lâcha Brigitte.

Hélas non, cela ne sera pas possible. Il est des circonstances... Ma situation est telle que je ne vais pas pouvoir.

Mais enfin, il y aura des jours de visite s'écria Mauricette les larmes aux yeux. Les parloirs, ça existe.

Pas là où je dois aller répondit énigmatiquement Serge. Et il n'y a pas non plus d'opération portes ouvertes.
Monique prit courageusement la parole. On ne vous juge pas Serge mais un jour que votre sac était entrouvert, nous avons vu, oh bien malgré nous ! cette indication MA 283. C'est bien Maison d' Arrêt matricule 283?

Serge, stupéfait dit alors :" bien, je vais donc vous donner quelques éclaircissements je suis bien le matricule 283. Cependant MA ne signifie pas Maison d' Arrêt mais Marines Army. Je suis militaire américain dans la marine. Comme tous les sous mariniers, nous partons en mission coupés du monde pour des mois au fond des mers. Le temps est très long. Avant je faisais de la tapisserie mais j'ai voulu changer. Désolé donc de ne pouvoir donner de nouvelles. Encore merci. Je pense pouvoir repasser vous voir dans 9 ou 10 mois.

Mauricette ressentit un grand vide et se mît à resonger à son couvre lit.

Serge ne serait plus là et son travail en rade.

La séance suivante, Mauricette ne fit rien; ne parla pas. Trois jours plus tard elle oublia même de l'apporter. Ses amies, craignant une dépression profonde devant son état d'hébétude, l’incitèrent à réagir mais elle répétait inlassablement :" je suis bloquée, la symétrie était la condition indispensable pour une bonne énergie. Et Serge est parti. Il m'aurait sûrement donné la solution.

À la fin de la séance, le groupe se sépara sur un serment tacite. Il fallait offrir une issue à Mauricette.

Ce fut Léonie, dans sa rigoureuse rationalité qui trouva la solution. Elle s'approcha de Mauricette et lui dit devant tout le groupe attentif :" tu peux évoluer dans ton ouvrage avec la plus parfaite symétrie sans rien retoucher à ce que tu as fait jusque ici. Voici comment. Il te faut refaire un patchwork identique avec le même défaut, mais inversé, puis tu assembles les deux côte à côte. Cette couture sera le nouvel axe et les défauts se retrouveront en miroir de chaque côté, donc ce ne sera plus une erreur.

G E N I A L !

Dans la minute qui suivit elle reprit courage avec ardeur.

Mais cela doublait le temps de travail prévu initialement. Mauricette compta le nombre de morceaux à refaire et trouva avec émerveillement le nombre de 283.

Au bout d'un certain temps en continuant à ce rythme, elle calcula que tout devrait être terminé dans 283 jours, le 7 octobre pensa-t-elle. Le jour de la saint Serge et approximativement de son retour. Et pourquoi ne pas lui offrir? Certes il était carrément trop grand pour une personne seule, mais cela pouvait peut être s'arranger.


J. Y. STONA

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15 février 2013 5 15 /02 /février /2013 00:00

JARDIN ANGLAIS

Le jardin de ma grand-mère était un immense carré. Arbres fruitiers serrés, rosiers, dahlias, glaïeuls, canas, tout petits œillets roides. Dans l'album du salon vert, j'ai retrouvé des photos des bouquets. Des teintes semblables : orangé, rouille, coq de roche, tango. Des fleurs raides dans de beaux vases droits. Les mêmes compositions classiques, superbes, certes, mais terriblement conventionnelles, oserai-je ajouter, terriblement ennuyeuses.

Je me souviens plus tard, arrivant sur l'île de la perfide Albion, comme s'amusait à dire mon cousin Jean, de ma stupéfaction devant un jardin anglais. Ciel ! Quelle légèreté ! Des nuances pastels, des corolles délicieuses, une délicatesse totale. Je n'avais pas de mots pour exprimer émotion et sensation joyeuses. Je me promenais dans les allées sous le regard amusé de la vieille dame qui m'accueillait. Pour cette première fois, je touchais du bout des doigts les tiges, craignant presque de les briser, elles me paraissaient si fragiles. Les camaïeux bleutés, rosés, ivoirines, me ravissaient. J'applaudissais. Je me promenais dans la courbe des plantations, des bosquets ronds, des massifs follets. Rien n'était vraiment travaillé, tout semblait pousser en totale liberté. L'harmonie était belle et bien pensée, puis réalisée.

Pendant ce séjour, je n'ai rien ratissé, ni semé, pas même coupé. Chaque matin, je le contemplais. C'était un enchantement. Je ne me lassais pas d'en découvrir les détails qui, en premier lieu, ne m'avaient pas sauté aux yeux. Un bassin, où nageaient entre deux eaux céladon de pâles poissons, un banc de pierre moussu, près duquel un coffret recelait un album, un livre, deux cookies, une part de cake, une petite thermos pleine d'un thé léger et parfumé et, comble de bonheur, un ravissant pichet de porcelaine parsemé de bleuets, plein de lait frais. Je savais qui était la fée qui apportait confiseries et lectures savoureuses, mais je ne disais rien et restais à lire et grignoter, m'évadant dans les histoires. Quand je cessais de lire, j'observais la cabane à oiseaux où les mésanges aimaient batifoler .De temps à autre, un couple de geais effrayaient de leur bec pointu, ces demoiselles bleues.

J'appris à connaître tous les coins et recoins de ce jardin. Un après – midi, furetant sous la tonnelle, je me suis arrêtée net : devant moi, un être singulier, une tête ronde, des cheveux bruns – dorés en bataille, un bout de nez trouspinet, des yeux noisette rieurs. Je restais la bouche ouverte, en face de moi les lèvres formaient un O parfait. Je n'osais bouger, l'autre restait immobile. Je lui ai souri et reçu un sourire malicieux. Je tournais la tête mais ne voyant plus rien, reprenais ma position, à deux pas rien ne semblait avoir bougé. L'illusion me confondait, un double, un sosie, un effet d'optique... ? Perdue dans mes pensées, je n'avais pas songé à la rencontre d'un miroir, camouflé en pleine nature. Parfaitement invisible, se révélant témoin d'une présence qui n'était autre que la mienne. La vieille dame me taquinait pour me faire reprendre pied en douceur vers la réalité.

A la fin du mois, je repartais, laissant quelques larmes dans un flacon que j'avais posé sur la cheminée, et un cœur d'herbes tressé de myosotis « forget me not », souviens-toi de moi.

Il y a peu de temps, j'y songeais encore. Cela me trottait dans la tête. Au cours d'une conversation, je crois avoir dit : « jardin anglais ». Ça n'était pas la première fois que j'associais ces deux mots. La nostalgie aurait pu me saisir, quand de l'autre côté du fil, j'ai entendu : « et si nous y allions en mai ? ». J'ai appelé la très vieille dame, j'ai entendu : « Oh, dear, come here ». Les billets sont réservés. Les larmes ne sont plus, le cœur d'herbe disparu. Le mien est léger comme un battement d'ailes. Pourtant, revient cette question : « Miroir, Ô mon beau miroir, qu'est devenue la fillette au jardin fleuri ? ». Au fond de moi, grelotte un petit rire qui sonne la réponse : « Auprès du petit banc moussu, tu la trouveras grandie, les yeux ouverts sur la vie ». 

Guillemette de Pimodan

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13 février 2013 3 13 /02 /février /2013 00:00

« Dans la maison, tout est calme, sauf ce volet là-haut qui claque. Elise monte l’escalier et pénètre dans la chambre de Maxime pour le bloquer. Elle reste un moment devant la fenêtre ouverte et hume avec délices cet air printanier : le vent, on ne sait pas d’où il vient, mais il apporte en passant des odeurs éparses de fleurs toutes neuves.

Elle s’assied sur le lit et tente de s’imprégner de l’atmosphère choisie par cet adolescent qui a grandi si vite ! Elle repense à leur dispute d’hier soir, à la porte claquée, aux pleurs entendus à travers le mur tandis qu ‘elle guettait un signe de réconciliation.

Et soudain elle repense à cette vieille histoire sur laquelle elle a mis un couvercle depuis longtemps. Jamais elle n’en a parlé. Mais aujourd’hui, pour ce fils, elle sent qu’il faut ouvrir une brèche dans cet épais silence.

Comment lui expliquer cette brève aventure dont il est le fruit ? Elle s’autorise enfin, après tant d’années, à repenser à cet homme. Tout ce passé qu’elle croyait enfoui à jamais remonte intact de sa mémoire.

Elle la revoit dans tous ses détails, cette folle journée de ses 20 ans. Elle avait aperçu cet homme au loin, elle ne savait rien de lui, mais soudain, son cœur avait tressailli, lui intimant avec force d’aller vers lui. Il avait répondu à ses avances, et le petit hôtel tout proche avait abrité leurs échanges. Elle n’avait pas voulu cela, elle n’avait pas vraiment fait exprès, mais elle avait quand même laissé les choses se faire. Elle s’était sentie gonflée d’un étrange sentiment de liberté.

« Oui,» se dit-elle :  « ça suffit les non-dits ! Il faut que je lui dise la vérité. Mais pourra t’il comprendre qu’un cœur surpris se mette soudain à voler plus haut que les oiseaux à cause d’un inconnu qui part dans quelques heures au bout du monde ? »

«  Mais comment vais-je expliquer à Maxime la fin brutale de cette histoire toute neuve ? L’homme m’avait fait ses adieux d’un air tellement indifférent que j’avais eu un doute concernant la réalité de ce qui venait de se passer entre nous. En sortant de l’hôtel, quelque chose dans sa course précipitée ressemblait déjà à une fuite. »

Elle repense alors aux semaines qui ont suivi cette aventure : l’inquiétude encore indifférenciée s’était précisée, et la découverte d’une grossesse débutante l’avait anéantie, car elle avait si peu d’argent.

Non, non … elle ne lui dira pas cela. Elle lui racontera plutôt la joie immense de l’avoir senti tressaillir en elle quelques mois plus tard. Elle lui redira combien elle est reconnaissante à la vie de lui avoir donné ce fils, lui, Maxime. Mais elle lui demandera pardon d’avoir laissé partir son géniteur sans avoir recueilli le moindre indice sur lui : ni nom, ni lieu, rien qui permette de le retrouver.

Un bruit fait sursauter Elise, perdue dans ses pensées. C’est la mobylette de Maxime dérapant sur les graviers de la cour. Elle se lève et descend l’escalier pour l’accueillir, tout en se demandant si elle va avoir le courage de parler … »

 

 

Catherine

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9 février 2013 6 09 /02 /février /2013 00:00

«  Cela fait des mois que Lucie nomme, classe et range avec sagesse toutes ces planches de botanique éparses et poussiéreuses, laissées à l’abandon depuis des décennies.

Elle ne quitte guère le charmant salon orné de fresques colorées : elle entretient avec soin le feu de cheminée qui le rend confortable. Ses repas lui sont servis ici et elle n’en sort qu’au moment où ses paupières, devenues trop lourdes, interrompent son travail et lui imposent d’aller dormir un peu.

Une fois les plantes reconnues et nommées avec justesse, Lucie les reproduit soigneusement sur un parchemin, avec sa plume imprégnée d’encre de Chine. Ensuite elle les range bien à leur place dans l’herbier qui les attend.

Certaines de ces plantes viennent de loin : elle songe à ces voyageurs qui ont découvert, et parfois ramené, des spécimens rares et jusque-là inconnus.

Parcourant des yeux la mappemonde, elle se prend à imaginer leurs itinéraires sur les mers et les océans, leurs escales, leurs étonnements, leurs aventures et leurs déboires. Puis, doucement, elle revient à son labeur, étonnée de s’être presque sentie du voyage.

Elle éprouve une réelle passion pour les végétaux : son travail peut sembler fastidieux à plus d’un, mais il la ravit à nouveau chaque matin, dès qu’elle pénètre dans ce lieu. Elle consulte souvent les livres de botanique alignés sur les nombreuses étagères. Ils ne cessent d’enrichir ses connaissances de détails particuliers. Peut)être qu’un jour son propre livre sera édité et trônera lui aussi au côté des illustres recueils : elle voit déjà ses dessins rassemblés en un magnifique ouvrage relié et serti d’or.

Le temps n’existe plus vraiment et le monde semble limité aux contours des boiseries de ce salon.

En ce jour de février, en fin d’après-midi, Lucie se sent attirée irrésistiblement par la fenêtre. Elle se lève avec fébrilité de sa table d’études pour regarder au dehors, où elle aperçoit soudain les premiers perce-neige : c’est un choc qui l’arrache à sa torpeur. La vie du dehors l’appelle … Le printemps est pour très vite … »

 

Catherine


 

            Le silence était retombé. Une violente dispute avait éclaté après le déjeuner. Élisabeth, que l’inquiétude rongeait, avait pris cette voix nasillarde et aigüe qu’il connaissait bien, une voix qui trahissait son anxiété et n’annonçait jamais rien de bon.

D’un air pincé, elle avait lancé : « Et maintenant ? Qu’allez-vous faire ? ». Comme s’il était évident qu’il faille effectivement faire quelque chose.

            Ils avaient reçu cette lettre qui les informait du départ de leur fille pour la Virginie. Elle était partie sans rien dire, à la recherche de spécimens botaniques rares. Ils n’étaient pas préparés à une telle éventualité. Rien ne l’avait laissé deviner. Ils en étaient hébétés de surprise et d’incompréhension.

            Après maints éclats de voix, Élisabeth avait fini par fondre en larmes et était partie en courant se réfugier dans sa chambre. Assis dans son bon fauteuil au coin du feu, il entendait les sanglots de sa femme, assourdis par l’oreiller dans lequel elle avait plus que probablement enfoui son visage, et par l’épaisseur du plancher de leur vieille maison.

            Dans le silence rompu par le claquement du bois sous la brûlure des flammes qui dansaient, il songeait.

 

            Au-delà de la tristesse qu’il éprouvait de n’avoir pas su deviner un tel projet, il était peiné de ce que sa fille, dont il se croyait si proche, ne lui en eut pas parlé. Malgré l’inquiétude qui le rongeait, il ne pouvait s’empêcher d’éprouver une immense fierté. Envers et contre tout, faisant fi de tous les qu’en-dira-t-on, sa fille, son Émilie, son eau-vive, sa passionnée, était partie. Partie par-delà les mers sur ce nouveau continent plein de promesses. Partie vivre ses rêves.

            Le silence était retombé. Une violente dispute avait éclaté après le déjeuner. Élisabeth, que l’inquiétude rongeait, avait pris cette voix nasillarde et aigüe qu’il connaissait bien, une voix qui trahissait son anxiété et n’annonçait jamais rien de bon.

D’un air pincé, elle avait lancé : « Et maintenant ? Qu’allez-vous faire ? ». Comme s’il était évident qu’il faille effectivement faire quelque chose.

            Ils avaient reçu cette lettre qui les informait du départ de leur fille pour la Virginie. Elle était partie sans rien dire, à la recherche de spécimens botaniques rares. Ils n’étaient pas préparés à une telle éventualité. Rien ne l’avait laissé deviner. Ils en étaient hébétés de surprise et d’incompréhension.

            Après maints éclats de voix, Élisabeth avait fini par fondre en larmes et était partie en courant se réfugier dans sa chambre. Assis dans son bon fauteuil au coin du feu, il entendait les sanglots de sa femme, assourdis par l’oreiller dans lequel elle avait plus que probablement enfoui son visage, et par l’épaisseur du plancher de leur vieille maison.

            Dans le silence rompu par le claquement du bois sous la brûlure des flammes qui dansaient, il songeait.

 

            Au-delà de la tristesse qu’il éprouvait de n’avoir pas su deviner un tel projet, il était peiné de ce que sa fille, dont il se croyait si proche, ne lui en eut pas parlé. Malgré l’inquiétude qui le rongeait, il ne pouvait s’empêcher d’éprouver une immense fierté. Envers et contre tout, faisant fi de tous les qu’en-dira-t-on, sa fille, son Émilie, son eau-vive, sa passionnée, était partie. Partie par-delà les mers sur ce nouveau continent plein de promesses. Partie vivre ses rêves.

VLG

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25 janvier 2013 5 25 /01 /janvier /2013 00:00

La fête du clair de lune

A la folle nuit du clair de lune, tout le monde est dehors. Les robes de soirée, de dentelles et de soie tournent comme des papillons enivrés, des bulles plein la tête. Les hommes en redingotes rient aux éclats. Ça scintille au jardin !

Pervenches et perce-neiges saluent le nouvel an, se moquant bien du froid, de la neige et du vent.

Belle lune,  lune belle, ritournelles, coccinelles et hirondelles annoncent le printemps.

Allez viens la belle ! la terre en éveil, et nous voici dans la treille, bourgeons sans pareil.

Pareil à quoi ? pareil à rien !

Viens boire du vin d’or ou d’argent ! Qu’importe on a vingt ans !

Cette nuit tout est permis…

Ouvrir les portes, soleil en tête, et sous la couette…

rayons de lune, autre lumière, autres parfums…

champagne à flot, bonhomme de neige et son chapeau…

Salut mon vieux ! voici nos vœux ! est-ce que t’en veux ?

Plus de grisaille, plus d’arbres nus, au feu de bois on se réchauffe.

Le temps s’envole vers les étoiles ou vers la lune, bien peu m’importe !

Flottant sur un nuage de duvet blanc tiré par des chevaux, on voit la vie d’en haut, on file au firmament, cheveux au vent, vivre au présent encore, encore… ! retiens l’instant… !

Zut on redescend………!

 Clo  Th.

 


 

Un rêve


La frontière est fermée. Quelque chose bouge devant moi, tapi dans les roseaux. Je marche à pas de loup le long du fleuve pris dans les glaces. Nouvel an d’évadé.

Les glaçons tintent en s’entrechoquant comme pour trinquer à la bonne année.

Triste journée, et pourtant pleine d’espoir.

Un oiseau migrateur a laissé ses empreintes sur le sol boueux.

L’odeur de vase habituelle sur les rives de la Loire s’est évanouie. Le gel ne diffuse que le froid sec.

Je me prends à rêver, envie d’écrire. Aucun papier sur moi, évadé sans identité.

Une brindille cueillie au passage me donne l’envie de tracer sur le sable : LIBERTE !

Impossible de le crier.

Un héron cendré me fixe du haut de son cou, il n’a pas peur de ma présence ; me regarde, il s’approche même.

Je l’entends alors me dire :

« Vois notre fleuve au cœur gelé, chargé de tant de glaçons. L’homme casse tout depuis de longues décennies »

Je contemple le héron. A t’il parlé ? L’ai je entendu ? 

Il s’envole lourdement comme chargé de tous les maux de la terre et des erreurs des hommes.

Ma tête tourne. Des mouettes survolent la Loire ; espoir, printemps, évasion, projets, envies d’aller écouter au jardin figé le chant des oiseaux.

Un bruit assourdissant vient heurter mes tympans. Je sursaute et fais un bond. Je me retrouve en bas de mon lit sur le parquet. C’est le réveil. Mon drôle de rêve imprègne ma mémoire, j’ai mal aux mâchoires. En titubant, je me vautre sur mon lit. Tant pis !

Mimo

 



Mon rêve

C’est le dernier jour de l’année. 

Le soir tombe et déborde. Une envie de rentrer …

Jolies robes et tralalas, costumes sur leur 31, les verres s’entrechoquent  comme pour donner le  « la » de cette fête obligée. Rires, brouhahas, champagne et calories …

J’allume une cigarette : sa fumée dessine un méandre ; elle propose de m’emporter loin de tout ce bruit. Je la suis et monte vers cette superbe lune rousse qui illumine la nuit si noire . Une délicieuse douceur m’envahit et j’alunis soudain auprès d’un feu réconfortant.

 Quelques vieux fauteuils, des châles épars ci et là sur le sol lunaire …  Il flotte dans l’air une odeur de vin chaud… Je couvre mes épaules nues de bleu et me laisse glisser dans les bras d’un fauteuil accueillant. 

Je passe la main sur mes yeux … Waouh !  C’est ça la lune ! Je ne m’en doutais absolument pas ! Je la croyais froide, glacée, emplie de frimas et de courants d’air …. Un peu comme la planète d’un hiver éternel où il ne se passe jamais rien … Neil Amstrong a dû alunir du mauvais côté !

        J’écoute le grand silence murmurer ses secrets, et  savoure la lueur tendre qui m’offre une ambiance délicatement tamisée. C’est un univers cotonneux, empli de calme et d’harmonie.

Je guette aussi, j’épie … N’y a t’il donc que moi ici ?

        Soudain, « PAN » ! Un bruit de pétard me fait sursauter. C’est le signal : il est minuit ! Je descends brutalement de mon rêve.

Ritournelle de voeux

Conscience d’une nouvelle année

 Ambiance forcée.

        Embrassades, bises qui claquent, souhaits calibrés …L’hiver s’envole, les jours vont rallonger.

Laisser le passé s’estomper

Ouvrir grand la porte

pour la nouvelle année. 

Ackane

 


 

         L'oiseau migrateur a passé la main sur mes yeux pour chasser les longues heures usées volées au calendrier. Égrenées, enfuies dans les pages que le vent tourne, elles s'envolent tourbillonnantes tandis que le soir tombe et déborde.

         La nuit, couleur d'encre, roule en vagues sombres qui viennent mourir à mes pieds, éclaboussant ma peau d'écume étoilée.

         Le jour se meurt.

         Dans le sable qui pleure, l'empreinte de mes pas enterre le passé. A pas de loup, l'oiseau marche sur mes traces et les efface.

         Demain sera un autre jour.

VLG

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