ALBUM de FAMILLE à la Médiathèque d'Avrillé.
Le 21 novembre et le 5 décembre 2009.
A partir des photos de famille apportées en atelier
Lacoste ? Vers 1910
La mère est assise, toute de noir vêtue, entourée par les quatre enfants : debout, à sa droite et à sa gauche, les deux garçons, encore des enfants. Derrière elle, debout aussi, les deux filles, déjà jeunes filles, presque femmes. Quel âge ont-ils ce jour-là ?
La photo est en noir et blanc. Ils ont mis les habits du dimanche, il faut faire bonne impression. Mais pourquoi ? Pour qui ? Tous regardent l’objectif. Peut-être pas, à bien les observer. La mère a l’air d’une statue, immobile et raidie dans les plis de sa robe noire au col montant. Les visages des enfants semblent plus souriants, excepté celui du plus jeune, à droite.
Les cinq personnages se découpent sur un fond neutre, blanc, sans histoire.
« On ne bouge plus ! »
Le photographe a disparu derrière son appareil, sous le drap noir. On ne voit plus que ses deux jambes maigres qui, ajoutées au trépied de l’appareil, dessinent la silhouette cocasse d’un animal insolite. Peut-être est-ce cette vision qui étire un sourire sur le visage du garçon à gauche et qui allume un regard amusé chez les deux sœurs ?Il a l’habitude, le photographe. Il fait ce métier pour vivre- et Dieu sait s’il en vit mal – mais surtout parce qu’il aime capturer la vie des gens, les mettre dans sa boîte magique comme il se plaît à le dire. Photos de famille, mariage, baptême, communion , la routine des vies. Pas si facile que ça. Tenez, aujourd’hui, avec ceux-là, il a du mal. Certes, ils sont dociles ; ils se sont laissés faire quand il les a disposés, quand il a placé les mains, incliné ou redressé les têtes, rajusté les plis des manches et des robes. Mais il sent que quelque chose lui échappe. Il ne les connaît pas - ils ne sont pas du coin – mais il les devine. Ce sont les mains qui en disent le plus. Regardez-les ces mains d’enfants qui se posent sur l’épaule maternelle comme des oiseaux. Voyez , sur les genoux de la mère, ce poing fermé comme un coquillage usé par le ressac des années . Et puis il y a le plus jeune, à droite, déjà impatient de s’en aller, avec son beau visage buté comme un reproche.Vite, il faut les saisir avant que l’essentiel ne s’évapore.
« On ne bouge plus ! »
Colette
Juste devant la maison, trois marches dégringolent vers une petite allée de gravier.
Tu es là, sur le seuil, à gauche de la porte, devant le pommier planté dans les herbes folles piquées de tâches jaune canari.
Dans l’ombre accueillante de l’arbre, une nappe aux larges carreaux rouges et blancs, les restes d’un pic nic, miettes de pain, de chocolat, un goûter de tendresse .
Paysage familier, nature morte.
Il faut se dire adieu.
Adieu.
Le chalet sous la cascade, on y passait l’été ; le reste de l’année, on était à la ville, en bas, au fond de la vallée, sous les nappes de brûme, dans les fumées de l’hiver, des cafés, des voitures.
Mais l’été ! Fermée la boutique ! « Tant pis pour les grincheux ! » disait le père.
On suit les troupeaux ; lentement, pas à pas, les souliers ferrés frappent la route pierreuse. Les cailloux roulent, le sentier grimpe ; rudement. On sort de la forêt, on s’élève. Les vaches s’égaient, leurs cloches font vibrer l’air des alpages ; un abreuvoir dans un tronc creux, l’eau est gelée, elle vient du glacier ; c’est aussi bon que c’est froid !
Les avalanches sont passées ; larges trouées dans la forêt, sapins à terre sur les coulées brunes ; des mottes qu’on pourra saisir comme des balles ; moins rigolo que les bouses pour les batailles, mais ça s’émiette quand même drôlement.
On dépasse le buisson de noisetiers qui cache un nid de vipères ; le père inconscient du danger le frôle, mais les enfants, qui savent, font un large détour.
On pense à l’autre danger : devant le chalet, la fosse à purin ! rectangle brun doré, agité par des bulles ; terrifiant ! Pas nauséabond. L’odeur, ça va. Mais l’idée ! si on y tombait ! mourir noyé dans une mare de bouse liquide...
Mais le sentier s’allonge langoureusement dans l’herbe jaune devant la cabane ; on ouvre la porte de bois, le volet ; la lumière s’engouffre et tape contre les planches, elle se jette sur l’ombre et la dévore. On ouvre la huche pour ranger les provisions ; on s’en taille aussi une petite tranche avec du fromage et du vin qui pique. C’est l’été. Le chalet sous la cascade est ouvert.
Marie-Laurence
A partir des mots de "L’Étoile"inspirés par le thème de la Famille :
A peine sortie du monde dit des actifs, je dis adieu à la famille des collègues auprès de laquelle j’ai partagé tant de jours, et de semaines. Sans regrets, le monde du travail étant ce qu’il est devenu. Ciao, monde cruel !
Voici venu le temps de prendre du bon temps, visiter ses amis,les bons seulement, apprendre à dire non aux autres, aux râleurs, aux éternels mécontents. Pourquoi ne pas prendre le train plus souvent, le T.E.R, celui qui se traîne gentiment, et admirer le paysage tout en allant rendre visite à ses géniteurs, puisque, par chance, ils sont encore là.
Chemin faisant, en randonnant, il suffit d’une senteur, de l’esprit d’un lieu, pour que ressurgissent les souvenirs d’autrefois.Les poules en liberté dans le Loué me rappellent mon arrière grand-mère courant après l’un de ces pauvres volatiles afin de lui « faire un sort » - gymnastique meurtrière faisant dire alentour en se lamentant sur mon propre sort « elle ne mange pas cette enfant ! ». Passant près d’une ferme, l’odeur de bouse me donne le blues en repensant à ce petit village dont les habitants, moins nombreux que les têtes de bétail, étaient la caricature de ceux de Clochemerle. Ah Clochemerle ! que de jeux nous avons faits en nous’inspirant de ce livre dont j’ai hélas oublié l’auteur !
Je m’étais promis il y a quelques années, de me lancer dans la généalogie, lorsque serait enfin venu le temps de la « grande vacance », finalement j’ai opté pour voyager, et je vous envoie mes bons baisers de Russie.
Michelle Astegiano
C’est une famille de lumière et d’eau, celle qui partage les bonheurs frais du jour. Cette celluleremplie de joie est un élément primordial à la douceur de vivre. Un peu comme l’air réchauffé par les rayons du soleil de l’été. Il y fait bon s’y promener en plein air sur sa petite route de campagne. Cette promenadefamiliale au bord des herbes vertes, sur les sentiersbien connus des connivences partagées. Joie pure. Oui, la famille est le berceaud’une naissancejoyeuse au monde.
Mais ce n’est peut-être qu’un rêve… Tout n’est pas douceur de vivre dans la famille… Pourtant, voilà ce qu’en retient le promeneur, marchant paisiblement sous la longue file des peupliers argentés, accompagné par la lumière de ses souvenirsverdoyants.
Fabrice Antier
Le jardin est toujours là, d’une beauté extraordinaire, mais les enfants s’en sont allés. Départs, déménagements, voyages, découvertes. Et la mère est restée, attentive et obstinée comme la vieille maison. Elle attend et elle rêve, assise sur le banc à l’ombre du tilleul.
Où sont-ils à cet instant précis ? Ses yeux les réinventent à défaut de les voir. Pour elle il n’y a pas de nulle part.
C
A partir des objets proposés et choisis :
Chapeau
C’était un bel après-midi d’été. En ce début de vacances Pénélope sortit faire un tour dans jardin provençal aux senteurs de garrigue. L’air tiède promenait des effluves de lavande, de thym, de romarin. Elle avait songé à une balade dans la colline, mais soudain, elle ne trouvait plus la force de marcher sous la chaleur écrasante du soleil. Elle se traîna avec langueur jusqu’au sous-sol où la fraîcheur ambiante la fouetta quelque peu.
Dans ce joyeux fouillis, elle cherchait un chapeau protecteur, celui de sa grand mère, le mauve, que l’aïeule portait si élégamment. Elle ne trouva que la vieille casquette du Papé dont elle se couvrit le chef avec désinvolture. Tout en sifflotant, elle allait sortir, quand elle se prit soudain les pieds dans ceux d’une vieille chaise- longue en rotin, un de ces vieux modèles aux larges accoudoirs et haut dossier auxquels l’on pouvait accrocher un repose pied, après maintes acrobaties et non sans quelque pincement de doigt.
Au prix de nombreux efforts, elle extirpa l’objet de son antre et le transporta jusque sous « l’arbre aux cigales » où elle s’installa, munie d’un éventail fleuri qui s’était coincé furtivement dans la chaise. Ainsi, bien lovée, et de charmante humeur,elle put se remémorer les instant délicieux où tous les siens étaient réunis dans la maison familiale .Les yeux fermés, il lui semblait entendre le bruit des boules de pétanque qui se heurtaient, entrecoupé de joyeuses galéjades, les rires des tantines à la cuisine, et ce délicieux parfum de bouillabaisse, lorsque, dans le cliquetis du rideau, Angèle apparaissait sous son seyant chapeau, retenu sur les oreilles par de coquets macarons, en dénouant d’un geste nonchalant son tablier fleuri.
Elle aurait souhaité que le temps s’arrête, afin de rester plongée dans ses souvenirs, mais dans le sablier, inexorablement, les grains de lavande s’écoulaient.
Michelle Astégiano
La vache, les bottes.
Famille d’automne
Après une aventure pittoresque à vélo sur les petits chemins qui menaient aux champs de la Cottencière, la recherche des champignons pouvait commencer. Hop ! le vélo posé sur la haie accueillante, sous le gros chêne, vieux gardien vénérable de la horde de vaches, nous enjambions plein de hâte la barrière de barbelés pour remplir le premier un panier foisonnant de petits roses, de chanterelles ou de coulemelles… C’était un bonheur sans pareil que de piétiner avec nos bottes vertes l’herbe tendre couverte de rosée. A nos côtés, le chien Sam reniflait les bouillées d’herbe, sautait pour attraper une souris apeurée, venait nous lécher le visage, mais jamais ne nous aidait dans notre quête aux champignons.
L’un de nous un peu éloigné, criait dans la brume matinale : « le plus gros de l’ouest, j’ai trouvé le plus gros de l’Ouest ! ». Alors, nous le regardions un peu jaloux mais contents quand même de nos trouvailles qui s’empilaient dans notre panier.
Après une bonne heure à fouler la prairie, suivis par l’élevage des bovins intéressés et curieux, nous étions satisfaits de notre cueillette. Oui, rien que de penser à la bonne poilée sautée avec des oignons qui nous attendait, ce soir là, lors de la tablée familiale... MIAM ! Quelle dégustation et quels bonheurs partagés que ces moments complices à travers champs.
Fabrice Antier
La canne.
La porte s’ouvre. Qu’on rentre ou qu’on sorte, peu importe, la canne en noyer nous attend, accrochée à la rampe de l’escalier par la douce courbure de sa poignée. Aiguille arrêtée d’une horloge hors du temps. Personne ne s’en sert plus mais nul n’oserait la prendre : ne porte-t-elle pas encore l’empreinte des doigts de celui qui la laissait là, précisément à cet endroit, sur l’avant dernière marche où son bout métallique avait fini par laisser comme une signature sur le rouge des tomettes ?
Il partait acheter le journal ou son paquet de gauloises et sa main saisissait la canne comme on prend le bras d’un ami. « On va se promener », lançait-il, arrivé en bas de l’escalier. Ce « on », c’était lui, sa canne et Fanette, sa brave vieille chienne griffon qu’il avait ramenée un soir d’hiver et sauvée d’une mort certaine dans une ferme abandonnée du plateau.
Quand il remontait la rue, on entendait le cliquetis de la chaîne suivi du bruit régulier et rassurant de la canne sur les pavés. N’était-ce pas ce bruit des pas à jamais perdus que l’on avait voulu enfermer dans la présence immobile de l’objet ?
C