La ronde des rues
Lola aime Paris, elle y est née et y a toujours vécu. Bien sûr elle a quitté cette ville si bruyante, le temps de prendre des vacances bien méritées. Elle a même voyagé dans beaucoup de pays aussi différents les uns que les autres : le Canada, la Finlande, l’Italie, le Sénégal ou la Turquie.
Lola a choisi de vivre à Paris. A l’approche de la quarantaine, moment clef de sa vie, elle pense se connaitre un peu. Elle sait son côté frondeur, son envie d’être différente, sa volonté de naviguer à contre-courant, son anticonformisme c’est pour cela que Lola a adopté Paris, envers et contre tout, envers et contre tous ! Car c’est une mode que de décrier Paris. A écouter ses habitants, c’est souvent l’enfer : surpopulation inhumaine, pollution excessive, embouteillages quotidiens, grèves à répétition, concerts de klaxons etc. Tous ces habitants-là subissent Paris parce qu’ils n’ont pas choisi d’y vivre, tous ceux-là ne viennent à Paris que pour y travailler et ne rêvent que d’une chose les week-ends et les vacances : retourner dans leurs provinces natales.
Lola se sent bien à Paris, elle y savoure sa vie. Les contraintes et les inconvénients de cette mégapole, si souvent critiquée, Lola les a faits siens. Pour elle, ils sont minimes par rapport aux avantages qu’elle trouve à vivre ici, car elle est tellement curieuse de tout ! Il se passe toujours quelque chose ici : une expo inédite, une pièce de théâtre intéressante, une nouvelle œuvre d’un illuminé soi-disant artiste ou une initiative originale d’un élu en mal de reconnaissance de ses concitoyens.
Lola admire Paris, ici tout est possible. Tout est anonyme, tout est original, tout est singulier. Cette capitale est le creuset de toutes les extravagances et de toutes les opportunités. A la fois riche de son passé, de son architecture, de ses musées et riche de son avenir, de ses projets, de son urbanisme en devenir.
Lola contemple Paris : l’histoire de cette ville peut surgir brusquement au détour d’une rue. Elle lève la tête et découvre ici une mosaïque à moitié cachée sous la devanture d’un restaurant, là une sculpture sur le fronton d’un ancien hôtel particulier transformé en bureaux pour une société d’assurance ou découpé en appartements luxueux.
Lola raffole de Paris la nuit, elle s’arrête devant les vitrines éclairées. Dans le calme apparent de cette grande ville endormie, elle arpente les rues, quartier après quartier, pour dénicher une décoration originale ou retrouver le nouvel espace à la mode très tendance, bondé la journée et si serein la nuit.
Lola profite de l’ambiance de Paris, elle ne s’ennuie jamais ici, même quand elle n’a rien à faire de spécial. Elle s’assoit à la terrasse d’un café et observe les passants, elle imagine leurs vies, les raisons de leurs présences ici, sur ces grands boulevards. Elle scrute les détails, se fait des films et s’évade ainsi loin des tumultes de la ville. Lola aime Paris car personne ne la juge et elle ne juge personne.
Lola dévore Paris, elle saisit tout :
- les livreurs qui bloquent les petites rues avec leurs camions encombrants,
- les boulangers qui allument en premier leurs devantures, pour les fameux croissants
parisiens et les baguettes du même nom,
- les joggeurs fous qui courent sur le bitume avant d’aller travailler,
- les va et vient des gens qui entrent et sortent, par flots ininterrompus, des bouches de métro,
- les parents qui quittent de la crèche, tout fiers avec leurs bébés dans les bras,
- les nounous qui vont chercher les enfants à l’école maternelle,
- les mamies qui récupèrent leurs petits-enfants à 16h30,
- les longues files d’attente devant les musées ou les expos de ceux qui n’ont pas réservé leur billet par internet,
- les retraités qui vont faire leurs courses quand il n’y a plus personne etc.
Lola adore Paris quand il pleut, elle se souvient de ce printemps 2010, où la pluie est tombée pendant 21 jours consécutifs. Les giboulées détrempaient tout, les stores des cafés, les bâches des couvreurs sur les toits en réfection, les auvents sur les étals des marchés, les parterres de fleurs autour des arbres dans les jardins publics. Les averses rendaient boueux tout espace sans herbe ou sans béton. La ville était triste et sombre, elle semblait désertée par ses habitants. Ce décor grisâtre était cependant égayé de façon régulière par les feux tricolores qui continuaient imperturbablement à rythmer les carrefours de la ville.
Lola s’amuse à Paris et même s’il pleut, elle s’en fiche. Elle ne sort jamais sans son parapluie multicolore, elle s’habille en conséquence et part se promener au hasard des rues. Elle rit de voir les gens courir se réfugier à l’abri dès les premières gouttes.
Lola déguste Paris comme un bonbon. Quand elle est fatiguée par le bruit permanent de la ville, elle quitte l’artère principale et découvre à chaque fois un petit coin au calme qui semble oublié de tous. Alors elle s’arrête, se repose, se ressource quelques instants. Ses yeux se posent sur une fleur, un arbre, un petit coin de nature au milieu de ce béton, de ces murs qui cachent l’horizon. Son esprit s’évade vers d’autres cieux, elle repense à ses vacances, à ses voyages, elle prépare ses prochaines escapades, elle les anticipe, les rêve et les savoure à l’avance, mais quel que soit le lieu où elle ira, elle reviendra à Paris.
Lola sait qu’elle va refuser cette promotion exceptionnelle au siège de la maison mère basée à Montréal, car sa drogue à elle, c’est la capitale de la France, la plus belle ville au monde.
Brigitte Charles